“L’homme, ce misérable tas de petits secrets”, disait André Malraux. Si nous avons tous une part d’ombre, elle peut parfois devenir envahissante jusqu’au point de non-retour.
Bernard Loiseau avait tout pour son bonheur : chef triplement étoilé par le guide Michelin, reconnu comme l’un des meilleurs de sa génération à une époque - déjà vingt ans ! - où la haute gastronomie commençait à fasciner les foules, père de famille de trois enfants dont il partageait l’existence avec Dominique, son épouse enlevée à la rédaction de L’Hôtellerie, vedette du petit écran et conseiller avisé des grands noms de l’agroalimentaire, émule adoubé par son maître Paul Bocuse, rien ne semblait devoir obscurcir l’horizon du célébrissime chef de La Côte d’Or à Saulieu.
Rien sauf une angoisse existentielle liée à la pression médiatique. Il faut avoir le cuir épais pour résister face aux flagorneurs comme aux faux amis, aux cabales ourdies par des critiques ivres de jalousie, aux exigences d’un métier très dur car la haute cuisine, comme toute profession starifiée, n’a rien d’un lit de roses. Bernard était un être pudique sous ses dehors conviviaux et joyeux qu’il aimait présenter en public.
Et surtout, Bernard avait gardé une simplicité et une authenticité dont bien peu de ses pairs étaient capables. Une simple, très simple anecdote : en 1991, pour célébrer l’obtention de sa troisième étoile, une grande marque de champagne organisa un fastueux dîner au Ritz. Au moment de monter sur scène, Bernard invita à l’accompagner ses parents, et eux seuls, pour les remercier de tout ce qu’il leur devait.
Bernard était un grand cuisinier, mais avait le cœur trop grand pour supporter la mesquinerie et l’égoïsme.
Publié par Christian BRUNEAU