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Quand Alain Passard a fait savoir son intention de consacrer tout son talent et son enthousiasme aux légumes, il a surpris plus d'un professionnel mais séduit toute une nouvelle clientèle. Aujourd'hui, il refuse chaque jour encore plus de clients qu'autrefois.
m Photos Atelier Proust
Non, vraiment non ! Ce n'est pas la crise de la vache folle qui a conduit Alain Passard à rayer la viande de sa carte. Une telle supposition le met d'ailleurs en colère. "Je savais au moins 1 an avant de me lancer dans cette nouvelle aventure que quelque chose d'exceptionnel allait arriver dans ma vie professionnelle et que ce quelque chose allait tout changer. Cet événement, c'est mon envie de consacrer toute ma passion et mon enthousiasme aux légumes. Ceci aurait pu m'arriver 1 an plus tôt ou 1 an plus tard. Et je suis désolé si les professionnels de la viande m'en veulent d'avoir lancé ma carte de légumes dans un moment aussi délicat. Je les ai gâtés pendant 30 ans en mettant à l'honneur rumsteck et quasi. Les maraîchers pourraient m'en vouloir d'avoir délaissé les légumes pendant toute cette période !" Cette formidable idée de cuisiner les légumes lui est venue de l'envie de voyager sur un autre tissu, une autre matière qu'il ne connaissait pas bien et qu'il avait envie de conjuguer avec des fleurs, des épices, des écorces, des fruits... "J'ai la chance, explique-t-il, de ressentir de la passion, de l'émotion par rapport aux gestes et à la main, et je ne reste pas insensible au toucher de cette matière première. Et puis, parmi les grands chefs, certains se sont spécialisés dans la viande, d'autres dans le poisson. Alors pourquoi l'un d'entre eux, sans tomber dans la cuisine végétarienne, ne pourrait-il pas se consacrer aux légumes ?"
© Atelier Proust
Alain Passard : "Je me suis lancé dans la cuisine des
légumes car j'avais envie de voyager sur une autre matière."
Une cuisson de précision
Pour Alain Passard, cuisiner des légumes n'est pas difficile car ce savoir-faire est lié
à son enthousiasme et à sa détermination. Pour le moment, il cuisine ces produits en
sautoir comme il cuisinait les volailles et les abats autrefois. "Le sautoir,
confie-t-il, est l'ami des légumes. Par contre, la cuisson à l'eau et la cuisson à
la vapeur fait leur malheur. La cuisson en sautoir est extraordinaire car c'est une
cuisine de précision qui demande de savoir poser son regard, de prendre le temps
d'observer ce qui se passe. Il faut savoir jouer avec le feu et prendre la température du
sautoir avec les doigts. Il faut également savoir en utiliser la surface et bien
répartir les légumes à l'intérieur en fonction de leur taille et de leur épaisseur.
Tout ce savoir-faire est indispensable afin d'éviter le dessèchement des légumes dû à
l'évaporation de leur eau de végétation." C'est ainsi que dans la cuisine
d'Alain Passard, tomates, betteraves rouges, carottes, oignons... mijotent de longues
heures dans des sautoirs posés sur une plaque maintenue à 60/70 °C maximum et
recouverts de papier sulfurisé. "Le papier sulfurisé, explique-t-il,
préserve la couleur des légumes, leurs essences et leurs parfums. Directement en contact
avec les produits enrobés de beurre ou d'huile, il les protège de l'air, donc des
phénomènes d'oxydation."
"La cuisine des légumes est extrêmement délicate, c'est comme de
l'étoffe."
Très enivrante
La cuisine des légumes enivre Alain Passard. Elle le perturbe parfois car il a le
sentiment de ne pas assurer ce qu'elle demande. Il lui faut absolument découvrir de
nouvelles techniques de préparation, de nouveaux assaisonnements, de nouvelles recettes.
"Je ne suis qu'en première année de légumes, s'amuse-t-il à dire, et
j'ai encore tant de choses à apprendre et à découvrir ! Cuisiner les légumes est en
effet une très importante source d'inspiration. Leurs couleurs, leurs saveurs, leurs
parfums, leur texture, leurs grains (chou-fleur) et enfin leur ligne (courbe
d'une aubergine) permettent des créations époustouflantes et inépuisables. Leur
mariage avec les épices ouvre des voies importantes et très intéressantes."
Ainsi, la carte de l'Arpège change tous les mois. Alain Passard tient en effet à ne
faire découvrir à ses clients que des légumes de qualité optimale, des légumes
éphémères, des légumes rares comme les mousserons de la Saint-Georges, les morilles,
les cerises... "Cet extraordinaire renouvellement, commente-t-il, casse le
geste et la routine et m'habite énormément. J'ai été ainsi amené à revoir ma carte
des vins : plus de 50 % ont été changés. J'ai recherché des vins qui présentent une
grande minéralité, des vins français mais aussi des vins californiens ou de
Nouvelle-Zélande. Je conseille ainsi un anjou très jeune avec la betterave rouge, un
riesling très minéral avec les fèves, un pinot gris, vin très léger et avec beaucoup
de précision, avec les ravioles d'oignons..." Et à l'heure actuelle, Alain
Passard réfléchit à deux nouvelles façons de cuire les légumes : par fumaison et par
flambage, et il ne va pas tarder à approcher les graminées.
© Atelier Proust
"La cuisson au sautoir est une cuisine de précision qui exige de prendre le
temps d'observer ce qui se passe."
Une clientèle nouvelle et enthousiaste
Dès que les médias ont annoncé qu'Alain Passard se lançait dans la cuisine des
légumes, l'Arpège a été submergé d'appels. "C'est encore aujourd'hui une
véritable folie, confie-t-il. L'Arpège refuse chaque jour encore plus de monde
qu'autrefois." Dans sa 'nouvelle maison', il attire en effet une nouvelle
clientèle. Seuls ses supporters sont restés. Sa clientèle, plutôt touristique, était
déjà très féminine, surtout à l'heure du déjeuner. Elle l'est encore plus. Les
femmes représentent plus de 60 %. "Ma clientèle est enthousiasmée. Elle
n'imaginait pas que l'on puisse parvenir à faire une cuisine de qualité avec des
produits aussi rustiques, aussi délaissés. Pour cela, en plus du savoir-faire, il me
faut trouver des produits de qualité. J'ai sélectionné un maraîcher du Val d'Anjou qui
cultive 3 hectares de pleine terre et qui me livre deux fois par semaine." Bien
que les légumes constituent la matière principale des plats, les prix n'ont pas baissé.
Le menu Terre et Mer est proposé à 1 200 F. Rien d'étonnant à cela. Il faut bien se
rendre compte que le travail des légumes est un travail qui exige beaucoup de
main-d'uvre. Alain Passard a engagé 3 cuisiniers. Son équipe compte 50 personnes
pour servir 50 clients. Par ailleurs, la cuisine des légumes demande aussi beaucoup
d'agilité dans les doigts et de la souplesse dans la main. "Elle est extrêmement
délicate, précise Alain Passard, c'est comme de l'étoffe. Je dois donc consacrer
beaucoup de temps à former mon équipe. Malgré ces efforts supplémentaires, toute
l'équipe est restée, ravie de découvrir une seconde cuisine." Enfin, pour
justifier le prix du menu, ajoutons qu'Alain Passard paie très cher ses légumes et qu'il
les conjugue avec d'autres ingrédients plutôt coûteux comme du caviar, des truffes, du
homard ou du vieux vinaigre balsamique. "Il ne faut pas croire, conclut-il,
qu'on peut approcher la cuisine des légumes comme ça, pour suivre Passard. C'est une
démarche intérieure issue de 30 années de passion qui me conduit à une telle
réussite. Il faut en effet être bien déterminé et regarder toujours devant pour se
lancer ainsi dans cette aventure. Il faut également savoir la raconter. Je serai
d'ailleurs ravi d'en parler avec les chefs qui souhaiteraient eux aussi vivre cette
formidable expérience !" n
Recette d'Alain Passard - Restaurant l'Arpège à Paris Légumes printaniers à l'oseille |
Recette d'Alain Passard - Restaurant l'Arpège à Paris Betteraves et oignons rouges de Roscoff au
vieux vinaigre de Modène |
Recette d'Alain Passard - Restaurant l'Arpège à Paris Fèves et poivrades au Parmigiano Reggiano
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Recette d'Alain Passard - Restaurant l'Arpège à Paris Tomates confites à l'huile d'olive
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Dossier Fraîche attitude
La Fraîche attitude, santé et vitalité
Pour passer l'été au vert, Le Petit Bofinger
Fruits et légumes, distribution nationale
Nouveaux produits à base de légumes, plaisir et
variété
Pour en savoir plus sur les légumes, le
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L'HôTELLERIE n° 2725 Magazine 5 Juillet 2001