Alexandre Gauthier n'a pas hésité à nicher L'Anecdote, son troisième restaurant, dans un lieu totalement différent de ces deux autres établissements. Mais derrière les élégants et imposants murs de briques du XIXe siècle, 'l'esprit Gauthier' est bien là. Son ami architecte Patrick Bouchain a oeuvré, avec l'aide de Marie Balanquart, pour transformer l'aile ouest du bâtiment de l'Hermitage - anciennement restaurant Le Jéroboam - en salle 'retour de classe', chic et simple, dans une ambiance qui fait le mix entre le bistrot et le restaurant.
Une grande banquette de velours d'un vert doux à piquons court le long des trois murs de la salle, derrière des petites tables de deux personnes, faciles à moduler, en bois brut serties d'une bande de métal. Des chaises d'école regarnies de cuir ajoutent le confort à l'esthétique. Au-dessus de chaque table, une suspension individuelle est à hauteur variable.
L'ensemble est "très souple à travailler. On passe de deux à huit personnes sans problème. Et le fait de pouvoir baisser les lumières permet d'éviter les classiques bougies du soir pour créer une belle ambiance tamisée et cosy", souligne Magali Trognion, responsable de salle et compagne d'Alexandre Gauthier, avec laquelle il s'est associé pour ouvrir l'Anecdote.
La jeune femme insiste sur un point d'architecture qui participe encore plus à l'originalité du lieu : l'îlot central. Au milieu de la salle est en effet installé un large établi de bois brut sur lequel trônent en majesté deux grils et deux grandes vasques à champagne pouvant accueillir les boissons fraîches, et suffisamment de place encore pour poser encore d'autres choses. Un véritable îlot à tout faire dont Magali Trognion a pu tester le côté pratique et convivial, et surtout l'effet spectacle sur les clients : la table à flamber permet de griller les viandes ou de cuire les crêpes Suzette, en direct. C'est tout l'art de la salle qui est mis en valeur par ce simple aménagement architectural
"Les Parisiens se moquent moins !"
À la carte, s'égrènent des plats qui pourraient paraître comme oubliés : steak au poivre, plat de côtes au beurre maître d'hôtel, joue de boeuf braisé, crêpes Suzette, baba au rhum, nougat glacé. "J'ai voulu rendre hommage à mon père Roland en ressortant les plats qu'il avait servis le 15 mars 1979, lors de l'ouverture de la Grenouillère", explique Alexandre Gauthier qui a rajouté 20 % de sa touche personnelle à la carte.
C'est le cas avec les truites fario ("qui ne sont pas roses mais blanches !", s'agace-t-il) et avec les écrevisses, qu'il sert avec des cailles : "On ne sait plus ce que sont ces magnifiques crevettes d'eau douce. Elles proviennent des gravières de la Canche juste à côté. Les pâtes rouges arrivent en avril et ce sont les meilleures. Elles se mangent avec les doigts." Il revient sur le steak au poivre : "Les Parisiens rigolent de cette recette, mais quand ils goûtent la vraie sauce au poivre maison, ils se moquent moins. Il faut d'abord bien choisir la viande. Pour la sauce, c'est invariablement trois cuillères de jus de viande déglacé et flambé au Cognac et une cuillère de crème. C'est notre meilleure vente depuis le début", précise Alexandre Gauthier, amusé. Quant à la simplissime roulade de saumon au chèvre et blinis, il décrit la recette de son père avec les yeux brillants : "Tout est dans la fraîcheur du chèvre, dans le moelleux des blinis maison et dans la qualité du saumon fumé. C'est super bon !"
Une cuisine de mémoire, sans chichis
Il donne aussi volontiers le secret de ses crêpes Suzette : "Tout est une question de beurre qui doit être gorgé de jus d'orange. Nous le flambons uniquement au Grand Marnier." Quant au nougat glacé, tellement galvaudé qu'il en est devenu presque ringard, le chef n'hésite pas à le faire maison "avec des fruits confits qui ne sont pas fluo et du miel crémeux", pour lui redonner sa vraie valeur.
"Je ne réinvente rien. C'est une cuisine de mémoire, sans chichis, avec des produits impeccables tout près de chez nous qui ont du goût et du vrai", insiste-t-il. Pas de folklore culinaire donc, ni de nostalgie, mais le goût d'une France et d'une cuisine disparue et authentique : "Je suis contre l'amnésie collective qui fait que l'on oublie d'où on vient". Il cite Escoffier mais surtout son père Roland Gauthier, qui a pratiqué il y a trente-cinq ans. "Sa cuisine n'est pas démodée. Même si les plats sont anciens, il les avait retravaillés pour qu'ils soient équilibrés." Son père est d'ailleurs venu faire les testings : "Je voulais que le goût soit juste." Pari visiblement gagné. Avec l'aide du chef Samuel Pesquet en cuisine, L'Anecdote d'Alexandre Gauthier est loin d'en être une !