Le Brésil ? Ni Claude Troisgros, ni Laurent Suaudeau ne comptaient y mettre un jour les pieds. Pourtant, c'est bien ici qu'ils ont tous deux fait carrière. Avec brio. Les deux chefs ont en effet posé leurs casseroles à Rio de Janeiro il y a près de 35 ans, l'un au Pré Catelan, l'autre au Saint-Honoré. Face à la pénurie de produits d'importation, les deux pionniers décident de marier savoir-faire français et produits locaux. "Cuisiner ces goûts et ces textures diffèrent de tout ce que nous connaissions, c'était, et cela reste un véritable défi créatif", s'enthousiasme Claude Troisgros. Ainsi est née la "nouvelle cuisine franco-brésilienne" qui deviendra leur marque de fabrique. Depuis, chacun a tracé sa route et cultivé sa notoriété.
Claude Troisgros, issu de la célèbre famille roannaise, multiplie les activités à Rio. Il jongle entre son restaurant gastronomique L'Olympe, ses émissions culinaires télévisées, ses deux enseignes CT Brasserie, un bistrot à viande CT Boucherie, un CT Trattorie mêlant influences italiennes, françaises et brésiliennes, un service traiteur, et, depuis peu, un CT Pâtisserie.
Laurent Suaudeau, de son côté, s'est installé dans la capitale gastronomique du pays, São Paulo. Il y a ouvert son propre restaurant, le Laurent, avant de se dédier à son école de formation continue et au consulting. Maître Cuisinier de France depuis 2004, il a lancé une franchise de glaces à l'italienne (Vipiteno), et planche sur son prochain projet, l'institut Laurent, destiné à développer le système d'apprentissage dans le pays. Celui qui exécute toujours ses plats signatures lors de dîners privés (joue de boeuf sauce jabuticaba et cresson, mousseline de pomme baroa au caviar, gnocchi de maïs vert à la crème de parmesan…) met cependant en garde : "Il n'y a pas de clients à São Paulo pour apprécier une cuisine française sophistiquée, si ce n'est lors de dîners privés. Peut-être y aurait-il un créneau pour un restaurant appartenant à un boutique hôtel, avec la présence d'un chef de renom... "
Le respect du savoir-faire français
D'autres professionnels français se sont installés au Brésil depuis. Erick Jacquin - l'un des chefs français les plus primés de São Paulo – a tour à tour monté l'adresse gastronomique La Brasserie, le bistrot Le Buteque, et actuellement Tartar & Co, dédié aux tartares. Toujours dans la veine bistrot ou brasserie, Frédéric Monnier a créé à Rio la Brasserie Rosário, ainsi que le Casarão Ameno Reseda, qui conjugue une brasserie de 120 places assises, une mini-galerie d'art et une salle de concert de 400 places. "À Rio, la restauration est boostée par la Coupe du Monde, mais les professionnels prévoient un retentissement encore plus fort avec les Jeux Olympiques, dans deux ans", se réjouit-il. Quant à Alain Poletto, il vient de s'associer à deux autres Français (Pierre Murcia et Cyrille Shroeder) afin de développer deux enseignes en franchise : Le Bistrot de Paris et Le Café de Paris. "Nous devrions compter deux bistrots 100 % français à São Paulo d'ici octobre. Le Café de Paris sera un concept un peu plus simplifié ou l'on pourra bien sûr boire un café, manger un croissant ou un sandwich de haute qualité, mais aussi des plats typiques de bistrot", détaille-t-il.
Sur le chapitre de la boulangerie pâtisserie, la French touch est au rendez-vous. À São Paulo, Fabrice Le Nud a ouvert trois boutiques-salons de thé-restaurants, sous l'enseigne Pâtisserie Douce France. Idem pour Dominique Guérin, mais du côté de Rio. Ce dernier, ancien responsable des pâtisseries des Sofitel d'Amérique latine et ex-chef pâtissier exécutif du Sofitel Copacabana à Rio, a diagnostiqué une faible concurrence, et flairé la "demande du public brésilien pour des classiques français". "Le marché est en pleine effervescence", observe-t-il, tout en prévoyant, à terme, dix boutiques dans la Cité Merveilleuse. Un Nouvel Eldorado ? Fabrice Le Nud tempère : "La Coupe du Monde est l'arbre qui cache la forêt. L'économie brésilienne se tasse. Les restaurants - surtout les établissements gastronomiques - souffrent à São Paulo, mais comme nous sommes implantés depuis treize ans, nous résistons."
On ne compte plus les chefs français devenus consultants ou évoluant derrière les fourneaux d'enseignes hôtelières : Emmanuel Bassoleil (Unique Hotel, São Paulo), Laurent Hervé (Grand Hyatt São Paulo), Roland Villard (Le Pré Catelan, Sofitel Copacabana), Jean-Yves Poirey (Rio Othon Palace Hotel). D'autres ont préféré se lancer à leur compte dans des villes de province, comme Christophe Legond (Voilà Bistrot, à Paraty) ou Philippe Remondeau (Chez Philippe, à Porto Alegre). "Ici, l'histoire gastronomique, les chefs, les produits et les terroirs français sont reconnus. Notre savoir-faire suscite un vrai respect", conclut le consultant Sylvain Dalle.
Publié par V.B