Ces restaurateurs qui pacifient les quartiers difficiles

Paris (75) Une idée reçue voudrait que ce soient les administrations qui se maintiennent en toutes circonstances dans les quartiers difficiles. En réalité, les derniers à partir ou les premiers à revenir dans les 'no go zones' sont souvent des cafetiers ou des restaurateurs.

Publié le 16 novembre 2015 à 11:17

En ce samedi matin ensoleillé, il faudra fendre une foule captivée par des joueurs de bonneteau géorgiens, contourner des vendeurs de contrefaçons adossés à la vitrine du restaurant pour espérer atteindre la porte de la Recyclerie. L'ancienne gare Ornano fait salle et surtout terrasse comble avec son brunch du week-end à 20 € fréquenté par une foule bigarrée de bobos, de riverains militants, de visiteurs du marché aux puces voisin… Une clientèle constituée au fil du temps dans ce lieu atypique et populaire, où règne la mixité sociale et ce qu'Alexandre Cammas, fondateur du Fooding et fin observateur des tendances liées aux affaires de la table, appelle "le renouveau des faubourgs." L'ancienne gare Ornano s'est glissée dans le quartier compliqué de la porte de Clignancourt (Paris, XVIIIe) comme un pied dans une chaussure neuve : avec douceur, en laissant le temps agir pour bien en prendre la forme. Inconcevable pour Tristan Morvan, le manager de l'établissement, de bousculer l'écosystème qui lèche ses vitrines. Le marigot de vendeurs à la sauvette n'est pas importuné dans ses activités illégales par le personnel du café ; il fait partie du cadre et n'effraie guère les visiteurs. Aucun service de sécurité à la porte de l'établissement ce matin-là. Tout le monde peut entrer sans distinction, même si les biffins trouveront un meilleur usage à une pièce de 2 € que de la dépenser en expresso alto au comptoir de la Recyclerie. "Nous ne voulons pas changer le quartier ni proposer un îlot bobo. La mixité sociale existe aussi à l'intérieur. Nous cassons les codes du Malien à la plonge, du Sri-lankais à la coupe et du Blanc en salle", explique Tristan Morvan.

 

Coup de food à Barbès

Si la greffe semble avoir pris porte de Clignancourt, à quatre stations de métro de là, la Brasserie Barbès de Jean Vedreine et Pierre Moussié suscite une grande émotion médiatique. Depuis l'annonce (lire L'Hôtellerie Restauration n° 3322 du 28 décembre 2012, p. 24) du projet d'installation d'une brasserie à la sortie du métro Barbès en place du magasin Vano disparu sous des flammes officiellement accidentelles, on aura tout lu : 'avant', 'pendant' mais sans doute moins 'après' l'ouverture du paquebot blanc immaculé des patrons du Sans Souci, du Floréal ou du Mansart. "Venez nous rendre visite dans quelques semaines, lorsqu'on ne parlera plus de nous", envisageait, mi-fataliste mi-lassé des demandes d'interview, Jean Vedreine, quelques jours avant l'ouverture. Le ressac de la mode emportera les excès d'une clientèle que certains ont voulu voir comme des hipsters frétillants derrière d'épaisses baies vitrées avec vue plongeante sur la misère. Les associations de riverains comme Action Barbès et les pouvoirs publics en la personne d'Afaf Gabelotaud, adjointe au maire, chargée du commerce de l'artisanat et du développement économique, ont soutenu à bras le corps le projet d'installation de la brasserie alors que la chaîne de restauration rapide KFC poussait pour obtenir l'emplacement.

Les acteurs locaux étaient bien conscients du bénéfice à retirer d'une telle brasserie pour les riverains, étant entendu que la vente, même branchée, de limonade est plus de nature à pacifier la zone, créer du lien social et assurer une présence continue et visible de 8 heures à 2 heures du matin que la vente de cigarettes de contrefaçon ou le déblocage de téléphone portable. Le chantier, qui a duré deux ans, a même été envahi lors des incidents consécutifs aux manifestations pro-palestiniennes de juillet 2014. Autant dire qu'il aura fallu de l'opiniâtreté et une louable prise de risques, en particulier financier, pour ces limonadiers de l'impossible. En effet, et à contrario du cinéma voisin, le Louxor, rénové au frais du contribuable, le duo d'investisseurs n'a pas maçonné à Barbès avec le filet sécurisant de la subvention publique. Quant à la polémique sur des prix jugés indécents dans un quartier déshérité, le café à 2,40 € de Jean Vedreine et Pierre Moussié, se positionne à mi-chemin entre celui du Titanic, bar historique du marché Dejean au coeur de Château rouge (2 €) et celui du Royal Bar (2,50 €), un établissement rustique du boulevard Rochechouart, non loin de la Brasserie Barbès.


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Publié par Francois PONT



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