“Depuis que je suis installée à mon compte, je me sens libre, y compris dans le processus créatif.” La chef Stéphanie Le Quellec a réfléchi durant un an avant d’ouvrir son restaurant La Scène, à Paris (VIIIe). Alors, certes, ses nuits “sont courtes”, “rien n’est acquis” et elle a “tous les soucis de tout chef d’entreprise”, mais à 37 ans, elle se réjouit : “J’ai réuni, en une seule adresse, tout ce que j’aime quand je sors de chez moi.”
Même dynamique et même soif de liberté pour Amandine Chaignot. “Quand j’étais chef exécutif des cuisines de l’hôtel Rosewood, à Londres, je travaillais avec 120 personnes et mon quotidien était peuplé de tableaux Excel. J’étais déconnectée de ce qui me plait dans le métier. À savoir : le contact avec les clients, la brigade et les produits”, a-t-elle expliqué lors du débat ‘Cheffes ! Rentrez dans les cuisines !’, entre femmes chefs françaises et italiennes, organisé le 9 décembre dernier à la mairie du Ier arrondissement de Paris, dans le cadre de la Semaine de la cuisine italienne dans le monde.
Résultat : en 2019, Amandine Chaignot a ouvert le restaurant Pouliche, à Paris (Xe). Son objectif : “Ce n’est pas la conquête des étoiles. Je veux un endroit où les gens viennent pour passer un bon moment”, explique l’ancienne jurée de l’émission MasterChef. Une envie affichée de s’affranchir des codes, d’appréhender la cuisine sans se soucier des modes, d’accorder qualité avec spontanéité.
Des battantes “qui servent de défricheuses et montrent que c’est possible”
Valérie Radou, chef en résidence chez Ruinart, à Reims (Marne), suit la même recette depuis qu’elle a quitté les tables étoilées - “où d’aucuns me traitaient de secrétaire…” - en 1997, pour devenir chef à domicile. C’est comme ça qu’elle a été repérée par la maison de Champagne. Son indépendance, son audace et son sens de la communication avec les autres – “acquis sur le terrain” - ont plu à Ruinart.
Les femmes chefs osent davantage, elles parlent et font parler d’elles à la télévision, dans la presse, sur les réseaux sociaux, jusque dans le documentaire À la recherche des femmes chefs, de Vérane Frédiani, sorti en salles en juillet 2017. Anne-Sophie Pic, Jacotte Brazier, Adeline Grattard, Cristina Bowerman, Dominique Crenn ou encore Kamilla Seidler y sont montrées comme des battantes. Des battantes “qui servent de défricheuses et montrent que c’est possible”, ajoute Nicolas Chatenier, délégué général des Grandes Tables du monde.
Moins de femmes aux postes à responsabilité
En 2018, cette association a publié - avec San Pellegrino et l’Institut FM Research - une “étude mondiale” selon laquelle de plus en plus de femmes rejoignent le secteur de la restauration : d’ailleurs 20 % des maisons sondées affirment vouloir recruter davantage de femmes dans les années à venir. Reste que, de même source, on trouve encore 8 femmes pour 12 hommes en salle et seulement 3 femmes pour 14 hommes en cuisine.
Quant à l’évolution au sein d’une hiérarchie, l’étude révèle que les femmes accèdent moins facilement aux postes à haute responsabilité que les hommes. “Ça commence changer, mais il faut faire plus encore”, constate Nicolas Chatenier. En effet, ça bouge. Les femmes s’engagent, se mobilisent, se regroupent. À l’instar d’Amandine Chaignot qui a fondé l’association A.F.F.A.M.E.E.S - ‘Amicale des filles de la food aimant manger, entreprendre, s’encanailler et savourer’ -, “pour réunir des cuisinières, sommelières, boulangères, bouchères… , créer des opportunités de rencontres, être solidaires dans l’échange et le partage”.
“Nous ne sommes pas les Femen de la gastronomie !”
Dans la même veine, Marie Sauce est à l’origine du concours gastronomique ‘100 % féminin’, La Cuillère d’or. La finale mondiale de l’édition en cours aura lieu le 18 novembre 2020, dans le cadre du salon EquipHotel, à Paris (XVe). “Nous ne sommes pas les Femen de la gastronomie !, prévient-elle : L’humain est au centre de tout dans notre concours et nous avons des hommes – dont beaucoup de MOF - dans le jury.”
Mêler les talents, les compétences, les savoir-faire, les gens et les genres ; bref, apprendre à travailler ensemble, hommes et femmes, c’est ce qui ressort des attentes des cuisinières et des femmes chefs, dont certaines refusent de mettre le mot ‘chef’ au féminin. “C’est l’esprit d’équipe qui doit primer avant tout”, souligne Aurélie Alary, maîtresse de maison du restaurant Marcore à Paris (IIe), dont les fourneaux sont tenus par son mari, le chef Marc Favier. “Tout ce qui peut être réalisé pour faciliter le quotidien des femmes en cuisine va aussi aider à améliorer celui des hommes”, conclut Nicolas Chatenier. Il fait allusion à l’un des engagements pris par les membres des Grandes Tables du monde, pour proposer davantage de flexibilité dans les horaires de travail. Car le rythme de la ‘coupure’ est un obstacle à toute vie de famille. En tout cas, il est vécu comme tel par les femmes… et les hommes.
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Publié par Anne EVEILLARD