Festival Omnivore : Trois chefs à New York

Ils font les beaux jours de Manhattan et de Brooklyn, font souffler le vent de la créativité sur une capitale américaine abonnée à la comfort food. Recontre avec Dany Bowien, Carlo Mirarchi et José Ramirez, tous trois invités d'Omnivore Paris.

Publié le 13 mars 2013 à 16:17

Au festival Omnivore de New York, il traînait sa longue tignasse entre les containers de Dekalb Market. À San Francisco, il passionnait l'assistance du Omnivore World Tour avec un petit déjeuner chinois mixant canard et bouillon de pop corn… Hyper cool, presque effacé, Danny Bowien est pourtant devenu en quelques mois une star made in US, au point que son confrère David Chang (Momofuku) lui consacrait un long dossier dans sa dernière livraison du magazine Lucky Peach. Bref, tout le monde parle de lui. D'où vient-il au juste ? Un parcours assez vague dans la restauration. Et puis soudain, l'explosion il y a deux ans avec l'ouverture de Mission Chinese Food sur Mission, l'une des rues les plus excitantes de San Francisco. Un rade à la déco à peine touchée, une cinquantaine de places assises, quelques rustines, dragons de papier, lumières tamisées pour masquer la modicité du décor. "Avec 450 000 $ [autant dire rien pour les US, NDLR], j'ai voulu ouvrir un restaurant abordable, avec simplement en trame de fond l'idée de nourrir le plus grand nombre." Danny Bowien le discret a tellement bien fait que le tout San Francicso s'est précipité chez lui pour goûter à la cuisine du Sichuan revue et corrigée… mais toujours épicée. Difficile de ne pas tomber sous le charme de l'endroit où aucune réservation n'est prise mais où les files d'attente se passent dans la bonne humeur. Le service jamais pushy vous laisse tranquillement terminer les quinze assiettes que l'envie vous ont poussé à commander, de l'Anguille fumée au thé aux concombres à la sauce aillée en passant par l'énormissime Jarret confit aux épices ou la soupe d'agneau. Le tout entre 8 et 12 $, où comment s'offrir une tablée festive pour moins qu'un plein de Chevrolet. La rumeur, longtemps, a donné Bowien à Paris. Un Mission Chinese Food rive droite aurait indubitablement de l'allure. Mais le chef californien à démenti… Sa présence pourtant à Paris ces jours derniers pourrait bien signifier le contraire.

 

Pop-Up restaurant pour légumes stars

À New York, le petit dernier se nomme José Ramirez-Ruiz. Crane chauve, dégaine cool, parole mesurée, il a derrière lui un parcours en béton. Ancien second d'Ignacio Mattos qui a fait les beaux jours du restaurant Isa de Brooklyn, il n'a pour l'instant pas trouvé les financements nécessaires pour ouvrir son propre restaurant - à moins de trois ou quatre millions de dollars, New York ne s'offre pas facilement. Ramirez s'est donc lancé dans l'expérience d'un Pop-Up restaurant, où comment squatter un lieu durant un jour ou deux et y inviter ses clients. Très en vogue, les Pop-Up permettent aux jeunes chefs de s'exprimer à moindres frais tout en se faisant connaître des mangeurs new-yorkais. La cuisine de Chez José est résolument locavore pour une poignée d'heureux élus. La star dans l'assiette c'est le légume, la viande obtient le second rôle… quand il n'improvise pas durant l'été des barbecues géants dans la cour d'un restaurant où grillent deux cochons entiers !

 

Mirarchi, The Dude

Ce grand écart, cela fait longtemps que Carlo Mirarchi l'a fait. The Dude. Aussi impassible que le Jeff Bridges hirsute du Big Lebowski des frères Cohen, il semble glisser sur le gravier (bio, forcément bio) ce dimanche d'été. Il porte un tshirt troué à la couleur indéterminée, a tout de même troqué après le service ses Croc's de plastique noir pour une paire de boots qui collent au pied par 40 degrés. Oui, voici the Dude, le boss de Roberta's pizzeria et de sa petite soeur gastronome Blanca. Les deux entités ont la même adresse, Moore Street, Buschwick, au bout de Brooklyn. Quand le quartier n'était rien qu'une ferraille à ciel ouvert, Mirarchi et ses associés ont transformé voici quatre ans en pizzeria un hangar où les vieilles Buick jonchaient la cour, paradis pour pièces détachées. Mais aujourd'hui, c'est le choc de se retrouver dans un vaste jardin, comme une trouée d'oxygène entourée d'immeubles industriels transformés en loft pour l'Upper Class en mal d'espace. La plupart des chauffeurs de taxi refusent encore de vous y conduire, trop loin, trop paumé aux confins de Brooklyn. Mais le jardin fabuleux ne se trouve qu'à quelques stations de Times Square. Autant dire à des années lumières. Car ce qui prévaut ici est avant tout l'authenticité. Celle d'un homme, Carlo Mirarchi, 33 ans, tombé dans la cuisine après un fumeux passage dans la mode. Tombé parce que sa mère, panaméenne, faisait une cuisine comme aucune autre mamma - son père est italien - et que son enfance s'est déroulée entre marchés de bons producteurs dans le quartier et voyages annuels en Calabre, au milieu des produits de la mer et des oursins à ramasser. D'ailleurs, c'est de la mer que tout est parti, que la vie de Mirarchi a basculé. "J'ai failli me noyer un jour pendant un voyage en Australie. Le courant était fort, les vagues s'abattaient sur moi, je voyais ma vie s'enfuir. Mais surtout je pensais que le matin je n'avais mangé que de mauvais fallafels. Et là, au milieu des vagues, ça me paraissait impossible de partir avec dans l'estomac quelque chose d'aussi médiocre." Des pêcheurs ont fini par le récupérer. Lui a mis des semaines avant de rentrer à New York et de pouvoir retravailler. Il en a profité pour faire le tour des meilleurs spots culinaires d'Australie. Quelques temps plus tard, il ouvrait avec deux associés Roberta's, pizzeria qui n'avait d'autre prétention première que de nourrir convenablement ses concitoyens. En quelques semaines, la réputation des Margarita a fait le tour de Big Apple. Au point d'amener à Buschwick une icone culinaire comme le chef italien Mario Batali. "Il nous a fait une publicité d'enfer, nous a sauvé des premières salles un peu vides, je lui dois beaucoup." En fait, The Dude ne doit rien à personne, excepté lui-même, sa folie et sa ténacité. Car il a fait de Roberta's tout, excepté un restaurant. Beaucoup plus qu'une simple pizzeria, fleur de bitume et cocon mêlant dans un même espace la pizzeria donc - tablées de familles heureuses de manger bon et bruyamment.

Le succès fut tel que Mirarchi a créé l'an dernier Blanca dans la cour de Roberta's. À l'inverse de son aîné populaire et grouillante, Blanca est une table épurée et plutôt élitiste. Douze couverts, pas un de plus, 200 $ en moyenne pour une série de plats envoyés sur le large bar/table. Dans cet espace dépouillé, tout n'est pensé que pour la cuisine. On lui fait d'ailleurs face, accoudé au comptoir, avec tout le loisir d'y suivre le balai moderne d'une toute petite brigade (Carlo en personne, Megan, sa sous-chef fidèle, un ou deux commis et la pâtissière en fin de service) s'activant pour livrer 25 plats d'une grande pureté esthétique. Une fois un 78 tours de pop très 80's posé sur la platine, le set de quatre heures peut commencer : granité de betterave et caviar en amuse-bouche terreux/aigre et profond avant l'acidité floral d'une eau de concombre submergeant des lamelles de saint-pierre cru. Durant une demi-douzaine de plats, systématiquement accompagnés de blancs autrichiens, de bière, de saké, une montée chromatique toute en douceur, apaisante, très loin du show-off d'une cuisine contemporaine qui confond parfois la puissance à l'élégance. Mirarchi à Blanca impose mais ne surdose pas, tisse au contraire un dialogue subtil avec les hôtes et les mets. Comme une leçon initiatique qui couvrirait les zones géographiques de l'Umami (céleri, mandarine, bonite) à l'Orient (minuscule aubergine confite sur un labné au sésame), de l'Italie (agnolotti intensément viandard) aux mers chaudes (crabe à la plancha, jus de tête servi à même la carapace comme une cérémonie du thé). Aucune boursouflure, aucune autre prétention que de donner à manger du bon, de l'intègre touchant souvent à la justesse sublime. Et peu à peu, on se laisse gagner par l'émotion, le développement d'une cuisine incubée, universelle, au spectre large tout en étant incarné.

C'est bien tout ce qu'on souhaite à New York et que ces jeunes chefs apportent : impertinence, subtilité et âme. À partager sans faim là-bas où ici, à Paris, sur la scène d'Omnivore.


Publié par Luc Dubanchet



Commentaires
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Maud

vendredi 15 mars 2013

Bon, d'accord,le Festival Omnivore a pour ambition de casser les codes d'une tradition parfois pesante, et les trouvailles de Luc Dubanchet et ses compagnons de fourchettes peuvent se révéler déroutantes.Bref, nos aventuriers de la world food et de la fusion improbable de la betterave et du caviar,c'est le propre des aventuriers,n'en font-ils pas un peu trop?Faut-il s'extasier sur la transformation d'un fond de cour de ferailleur de Brooklyn en pizzeria chic? A New-York,l'inspiration n'est pas forcément synonyme de provocation conceptuelle.L'époque de Basquiat et Warhol n'est-elle pas un peu dépassée?

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