• Le lieu
Située en bord de Saône, l'Auberge de Pont-de-Collonges, qui détient trois étoiles Michelin depuis 1965, a été rebaptisée au nom de Paul Bocuse la même année, suite au rachat par ce dernier du nom Bocuse. Son grand-père paternel l'avait en effet vendu avec son restaurant en 1921. Ce haut lieu de la gastronomie est facilement reconnaissable de la route, grâce à sa façade framboise et pistache qui se dresse à la manière d'un décor de théâtre. Sur le parking, le trompe-l'oeil de Paul Bocuse en tenue, appuyé à une fausse fenêtre, fait acte de bienvenue. Daniel Abdallah, groom depuis vingt-cinq ans, en habit rouge, accueille comme il se doit le client, le faisant passer devant la Rue des chefs, foulant les plaques de bronze gravées au nom des lauréats du Bocuse d'or, pour atteindre la lourde porte d'entrée.
• Le restaurant
La relève de l'accueil est prise par François Pipala, le directeur de salle. Paul Bocuse s'en chargeait il n'y a pas si longtemps. Le client a une vue directe sur les cuisines et sa batterie en cuivre. Il peut aller dans le salon Fernand Point, qui fait office de bar ou de salon privé (25 couverts), ou bien se rendre dans la salle de la cheminée. Il s'agit du restaurant (25 places), au sol d'époque, qui a subi une extension de 50 couverts. La salle est empreinte d'histoire, de vécu : "Les photos représentent les moments marquants de la vie de Paul Bocuse, de son restaurant. Il ne faut pas que cela se perde", déclare le directeur général, Vincent Leroux. Nous sommes bien chez Monsieur Paul - rappelons qu'il habite à l'étage. Le feu de cheminée en hiver, la sympathie de l'équipe de salle ajoutent à la convivialité du moment. Convivial, voilà bien un mot qui compte pour Paul Bocuse.
• L'ambiance en salle
L'Auberge de Collonges est "un restaurant hors du temps". François Pipala est un fidèle parmi les fidèles de Paul Bocuse. Vingt-cinq ans de maison et pas l'ombre d'un regret. Quand il en parle, on le sent animé et "fier d'appartenir à cette maison familiale". Ici, le turnover est faible. Et pour preuve : la brigade de salle, composée de 27 personnes, a entre cinq et trente-trois ans de maison. "Nous travaillons pour un personnage hors du commun. Il a une rigueur qui fait que ça marche depuis 1965. Jean Fleury disait : 'Paul Bocuse n'est pas quelqu'un de compliqué, mais de complexe.' Il a su nous faire confiance et nous fidéliser. Nous sommes aussi bien nourris", sourit le meilleur ouvrier de France 1993. Cette chaleur humaine est retranscrite en salle. Le client est chouchouté. À la commande, on l'informe et on l'aiguille sur les plats. Et au besoin, on s'adapte à ses desideratas. "Je me souviens de clients suisses qui voulaient manger des confitures avec la tomme de Savoie et le Comté. Nous sommes allés en cuisine leur en chercher. Il faut se garder de tout préjugé. Nous sommes là pour apporter du bonheur", poursuit François Pipala.
Le service se passe dans la sérénité. Le client entend la batterie de cuisine en bruit de fond. Entouré par les photos de famille de Monsieur Paul, il se sent à l'aise, comme à la maison, et loin du cliché de l'austérité des restaurants trois étoiles. "Le client vient chercher cette convivialité", confirme le directeur de salle. Presque tous les plats à la carte impliquent une technique de salle au guéridon. Le client peut ainsi voir le filetage d'une sole grillée, accompagné d'un citron, la découpe d'un loup en croûte feuilletée, la côte de veau rôtie, le pigeon entier à la broche, la canette rôtie, le carré d'agneau... "Je ne conçois pas d'apporter uniquement des assiettes. Monsieur Paul aime la cuisson sur l'os ou l'arête, ce qui implique donc des pièces entières. Les techniques font partie du patrimoine culinaire français. Pourquoi priver le client de ce spectacle ?"
"Notre deuxième métier : photographe"
Le travail de salle est mis en avant jusqu'au bout. Le chariot de fromages affinés Mère Richard (quinze pièces sur plateau) diaboliquement tentant. Une faisselle et de la crème fraîche trônent au centre, avec des condiments à souhait servis généreusement à l'assiette. Pour clore en beauté, une profusion de gâteaux entiers entoure la table. C'est un vrai retour en enfance avec le baba au rhum, les crèmes brûlées, les tartes, le gâteau président Maurice Bernachon, les pruneaux au vin rouge, les îles flottantes... Cette générosité en cuisine comme en salle plaît.
En passant devant la boutique de cadeaux, le convive peut visiter la cave "s'il le demande, précise Vincent Leroux. Sur 100 clients par jour, 15 % achètent les produits dérivés". Paul Bocuse a fait de son nom, une marque, et de son établissement, une institution. La clientèle n'hésite pas à se faire photographier en cuisine avec les casseroles en cuivre au fond. "Notre deuxième métier, c'est photographe", s'amuse François Pipala. Le client est bien sûr raccompagné et reçoit en souvenir son menu personnalisé dans un sublime sac Paul Bocuse. "Le pari est gagné quand il nous dit qu'il a passé un bon moment parmi nous. Et qu'au-delà de la cuisine, l'ambiance est conviviale et propre à l'Auberge", conclut le directeur de salle. Une générosité qui n'a pas d'égale.
• Les arts de la table
Le dressage des tables est classique. Nappe blanche avec une assiette de présentation Villeroy & Boch qui représente la vie de Paul Bocuse : la chasse, la pêche et Collonges. Le dessin est signé Alain Vavro. S'ajoutent les couverts de base en argent siglés PB. Il y a une assiette et un couteau à pain dans le même style. Ainsi qu'un verre à eau et un verre à vin en cristal siglé Paul Bocuse. À la droite du couteau de base, une serviette blanche roulée dans un stick. Au centre de table, une ménagère sel-poivre en argent, des roses fraîches ("on en passe 300 par semaine", note François Pipala). "En dix ans, j'ai connu trois services. Jamais un client ne m'a dit de changer la vaisselle. On devrait la renouveler en 2015 avec un pincement au coeur, car elle caractérise bien Monsieur Paul", observe le directeur de salle.
La sommellerie : "400 références"
La cave, qui était à l'origine au-dessous du restaurant, a été construite en 2010, non loin de la salle, et est visible depuis la boutique Paul Bocuse. "Nous avons 16 000 bouteilles, 400 références. La cave de stockage se trouve dans le village, poursuit Vincent Leroux. Chaque bouteille est étiquetée et, dès commande, facturée sur la note du client. C'est plus facile aussi pour l'inventaire, puisqu'on sait ce que l'on a en cave." Mathieu Vial, chef sommelier (ex-Maison Troisgros), complète : "La cave est rangée par région et par couleur. Il y a quatre températures différentes : de 14,5 °C pour les rouges à 11,5 °C pour les blancs en fond de cave." La fourchette de prix va de 45 € pour un pouilly-fuissé Georges Duboeuf 2007 à 9 000 € pour un Romanée-Conti 1996. Les régions prédominantes : la vallée du Rhône et la Bourgogne. Il y a seulement 5 % de vins étrangers. Pour les amis de la maison, il existe une pièce de dégustation dès plus confidentielles.
• On a aimé
• Les techniques. Le travail de salle ne peut pas être plus mis en avant. La carte a été construite pour créer du spectacle. Les gestes sont précis et rapides (chaque technique dure moins de trois minutes).
• Le limonaire Fournier. On le verra uniquement chez Paul Bocuse ! Visible à l'entrée du restaurant, il sert lorsqu'un client fête son anniversaire. Le groom se met devant la table, tourne la manivelle pour pousser la chansonnette. Un gâteau d'anniversaire personnalisé arrive entre temps. Le personnel de salle prend une photo pour immortaliser le moment, qu'il remettra aux convives à leur départ.
• Le rond de serviette Paul Bocuse sur table. Peu vu dans les restaurants trois étoiles, il se présente sous forme de stick que l'on détache pour prendre sa serviette. À l'intérieur, le client peut lire : 'Paul Bocuse vous souhaite un bon appétit'. Une délicate attention, simple, mais qui fait son effet en termes de personnalisation de l'accueil.
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Citons enfin le second établissement de Paul Bocuse, L'Abbaye de Collonges situé à 400 mètres, qui fut jadis le restaurant de sa grand-mère. La cuisine, gardée intacte, est un véritable musée. La salle principale reçoit uniquement des séminaires, à raison de 150 par an (jusqu'à 600 convives, pour 40 000 couverts à l'année). C'est ici que l'on aperçoit le grand limonaire, une pièce unique au monde équivalent à un orchestre de 110 musiciens, et qui fonctionne dès que la salle s'ouvre. Spectacle garanti !
Publié par Hélène BINET
mardi 13 janvier 2015