Joël Kichenin et Sylvain Sérouart, porte-drapeaux d'une cuisine guadeloupéenne de haute volée

Saint-François (971) Deux chefs de renom, installés à Saint-François, l'une des communes les plus touristiques de Grande-Terre, au nord de l'île, nous livrent leur sentiment sur la gastronomie guadeloupéenne, les difficultés qu'ils rencontrent et l'avenir du secteur.

Publié le 31 juillet 2012 à 13:01

Joël Kichenin est un personnage atypique. Alors qu'il est le chef le plus titré en compétition aux Antilles-Guyane, il a choisi aujourd'hui de proposer sa gastronomie uniquement sur réservation, accueillant ses convives autour d'une table d'hôtes, Le Bois Lélé, à Saint-François. Formé par le compagnonnage, il est passé par les écoles Lenôtre et Ritz Escoffier et a depuis obtenu de très nombreuses reconnaissances pour sa gastronomie créole inventive. « Je crée des recettes à partir des produits du terroir mais aussi des méconnus ou qui ont été oubliés. C'est une cuisine guadeloupéenne, teintée d'influences indiennes, venues de mes origines familiales» décode-t-il. Son Thon rouge poêlé, sauce tamarin, flan de patate douce et ratatouille de légumes 'péyi' reflète sa passion pour les produits authentiques et son incontestable talent. Ce qui fait également "vibrer" ce professionnel qui exerce depuis plus de 40 ans, ce sont les concours culinaires. « Ils sont enrichissants car ce sont des défis, des remises en question mais aussi des échanges, des occasions de rencontrer d'autres chefs et de créer un réseau pour placer mes étudiants de l'Université». Mais aussi autant d'occasions de faire connaître à l'international la gastronomie guadeloupéenne qu'il porte à un très haut niveau. Il a d'ailleurs été nommé « ambassadeur de la cuisine créole » par ses pairs. Souhaitant valoriser les traditions gastronomiques et mettre en avant les chefs guadeloupéens, il est à l'origine des concours culinaires comme la Coupe des chefs de cuisine ultra-marins ou le Boko d'Or, autour du crabe, l'un des plats favoris de l'île. 

Se différencier

Soucieux de moderniser la cuisine guadeloupéenne, de transmettre son savoir et partager son expérience, il enseigne également en licence professionnelle Hotellerie-Restauration à l'Université Antilles-Guyane. Agé aujourd'hui de 55 ans, l'esprit table d'hôtes lui convient. L'accueil personnalisé, la proximité du chef qui cuisine devant sa clientèle, le dialogue qui s'instaure, le choix des produits… Une démarche qui lui permet aussi de se différencier dans une commune très touristique. « Il y a beaucoup de professionnels européens qui s'installent en Guadeloupe. Rien qu'à Saint-François, il y a plus de 120  restaurants, mais finalement tout le monde propose la même carte ou presque » constate-t-il.  Sylvain Sérouart, chef de l'Iguane Café, également situé à Saint-François, partage cette opinion. Seul Maitre Cuisinier de France en Guadeloupe, il propose une cuisine inventive et métissée, faite de contrastes et de maitrise technique. La Pirate des Caraïbes, une langouste au sel rose de Tibet, sauce paprika et poivre rose, mousseline et purée d'igname, cuite à la fève de Tonka et bâton de vanille, traduit sa créativité et recherche d'excellence.  Le service 'cloché' et des prestations de haut niveau font de l'Iguane Café le restaurant le plus réputé de l'île. Malgré son succès et fort de ses 21 années passées en Guadeloupe, Sylvain Serouart émet quelques doutes sur l'avenir de la profession. Trois ans après les évènements de 2009 qui ont mis les professionnels du tourisme en difficulté, « nous retrouvons seulement maintenant nos chiffres de 2008 », explique-t-il. « Mais ceux qui n'investiront pas dans les deux années qui viennent ne s'en sortiront pas. Le coût salarial est de plus en plus élevé et continue d'augmenter. Bientôt, dans un avenir proche, nous ne pourrons plus assurer ce type de prestation, coûteuse en main d'oeuvre ». Sylvain Sérouart travaille avec 9 employés, dont 4 apprentis. Ce chef, passé par les plus grandes maisons, se dit soucieux de l'avenir de la gastronomie guadeloupéenne. Il forme ses apprentis avec l'objectif « qu'ils deviennent des chefs autonomes». Seulement, il déplore « qu'une fois l'apprentissage terminé, ces jeunes partent travailler en métropole ou ne poursuivent pas dans la profession, faute de moyens pour monter leur propre affaire ». Cela lui laisse un goût amer. « Nous avons le sentiment de ne pas les avoir accompagnés jusqu'au bout. Je leur transmets ma philosophie, mon métier, mon savoir, les jeunes ont la motivation et la volonté mais ne trouvent pas de soutien financier ». Sylvain Sérouart envisage dans les années qui viennent d'investir dans des projets dans lesquels il aura « confiance ». Son objectif : voir ses apprentis voler de leurs propres ailes en Guadeloupe. Joël Kichenin, comme Sylvain Sérouart, mais aussi Max Cirilie et bien d'autres, luttent contre l'image d'une cuisine créole juste familiale. La gastronomie guadeloupéenne moderne existe, l'audace se mêle à l'élégance, les produits du cru sont à l'honneur. Les nouvelles générations sont là, reste à leur donner les moyens de leurs ambitions.


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Publié par Marie TABACCHI



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