La violence gangrène-t-elle les cuisines ?

Paris Le 17 novembre dernier, un collège de grands noms de la gastronomie était réuni à Science-Po Paris pour évoquer un sujet encore largement tabou.

Publié le 13 mars 2015 à 18:04

Qu'il vente ou qu'il pleuve, les sujets sur la cuisine déplacent les foules, même lorsqu'il s'agit de thèmes aussi peu savoureux que la violence physique, l'abus de pouvoir, le machisme, le bizutage ou même le racisme dans les coulisses des restaurants. Ainsi, à l'heureuse initiative du Fooding et du site gastronomique Atabula, l'amphithéâtre Jacques Chapsal de Sciences-Po Paris affichait complet comme un soir de première. Le public très largement féminin justifia une première espièglerie de la maîtresse de cérémonie, Maïtena Biraben : "Pourquoi y a-t-il autant de filles ce soir ? Parce qu'on va parler de cuisine ou parce qu'on va parler de violence ?" Un ton moins ludique lorsque les initiateurs de l'événement, Alexandre Cammas, le père du Fooding, et Franck Pinay-Rabaroust, fondateur et rédacteur en chef d'Atabula, ouvrirent la séance plénière. Le premier évoqua l'histoire de cet apprenti handicapé affecté 'au froid', souffre-douleur d'une brigade entière qui le cabossait de 'béquilles'. Mais c'est le second, très ému, qui rendit compte de faits édifiants tels que ce couteau planté dans le mollet d'un apprenti pas assez docile ou encore ces coups de pied d'un chef qui poussait certaines de ses victimes à venir travailler avec des protège-tibias.

Franck Pinay-Rabaroust évoqua la réception de plus de 150 e-mails consécutivement à la publication de son article, en avril dernier, sur les brûlures infligées par un chef de partie - qui venait d'arriver - à un apprenti du Pré Catelan. Des faits confirmés par Frédéric Anton, qui licencia le coupable dès qu'il en eu connaissance. Des témoignages choc initiateurs d'un débat passionnant entre le sociologue Frédéric Brugeilles, le directeur de la prestigieuse école hôtelière Ferrandi Bruno de Monte, et huit grands noms de la gastronomie : Cyril Lignac (Le Quinzième, Le Chardenoux des Prés), Adeline Grattard (Yam'tcha), la star des chefs français aux États-Unis Ludo Lefebvre (Trois Mec et Petit Trois), Grégory Marchand (Frenchie), Christian Etchebest (La Cantine de La Cigale), Gérard Cagna (chef retraité et co-auteur d'un manifeste sur la violence en cuisine), Thierry Marx (Le Sur mesure au Mandarin Oriental) et Alain Passard (L'Arpège), les deux derniers étant présents par vidéo.

 

"Il y a une frontière entre exigence et méchanceté"

"Coup de feu, fusil, brigade… Voilà une rhétorique bien guerrière... C'est donc ça la cuisine ?", interroge avec malice Maïtena Biraben. Une mise en bouche propre à faire bouillonner Christian Etchebest : "J'en ai pris des coups de pieds aux fesses. J'estime pourtant n'avoir jamais été victime de violence. La télévision est arrivée, elle ne montre que de belles choses. Mais il ne faut pas venir [en cuisine] la fleur au fusil. Le métier est dur. La discipline, ce n'est pas de la violence gratuite. Il y a trente ans, c'était marche ou crève. On ne posait jamais de question sur les salaires ou les horaires. Aujourd'hui, les jeunes pensent qu'ils vont arriver et faire de belles assiettes mais avant, il y a la plonge, les pluches..." Pour Grégory Marchand, la cuisine "ce n'est pas la vie de bureau". Et d'évoquer les brimades qu'il subit à Londres : "Les cuisines sont très dures en Angleterre. J'ai jeté mon tablier après l'arrivée d'un nouveau chef. Il y a une frontière entre exigence et méchanceté. Même si, en cuisine, il fait chaud et que les horaires et la pression sont rudes, il doit y avoir du respect !" Avec une désarmante gentillesse, Ludo Lefebvre évoque alors le choc de culture avec les Américains : "À mon arrivée aux États-Unis, on m'a pris pour un fou. Je criais tout le temps. Le management outre-Atlantique est plus participatif avec beaucoup de réunions où les problèmes sont envisagés de manière collective. Par la suite, j'ai eu un chef pâtissier dont je n'aimais pas le travail. Je renvoyais souvent ses desserts. Il m'a fait un procès pour ça. En France, j'étais apprenti à 14 ans. J'ouvrais les huîtres. J'ai pris un coup de poing une fois. On avait tous peur du chef."

 

"Le machisme m'a donné la rage"

Adeline Grattard s'estime redevable d'une certaine douceur envers les filles qui composent une partie de son équipe, au titre de ce que les hommes lui ont fait subir : "J'ai vécu des choses vulgaires car je suis une fille. Le machisme m'a donné la rage. Les violences viennent plus souvent de l'équipe que du chef", dit-elle avant de reconnaître un problème avec les jeunes : "Dès qu'on lève un peu la voix, ça ne va plus." Ce à quoi Cyril Lignac s'empresse d'ajouter : "À mon époque, j'ai attendu pendant des mois qu'une place se libère chez Alain Passard. Aujourd'hui, tous les trois étoiles cherchent du personnel." Parapluie-canne à la main, le très british directeur de Ferrandi théorise ce sentiment de violence que peuvent éprouver les débutants : "Les jeunes n'ont plus le même degré d'acceptation et la pression peut être ressentie comme une violence." "Mais, rebondit Frédéric Brugeilles, pour faire de grandes choses, il faut des contraintes." Et voilà la taquine journaliste de Canal + qui relance le débat : "Adeline, est-il plus difficile pour une femme de travailler avec des femmes ?" "Une femme est plus habile pour calmer les tensions", estime la cuisinière. "C'est agréable de travailler avec les femmes, car elles ne se plaignent jamais. Chaque mois, je les prends une par une dans mon bureau…, tente Ludo Lefebvre qui déclenche l'hilarité de la salle, … pour m'assurer que tout va bien. Aux États-Unis, on ne peut pas effleurer un sein. Je redoute les procès."

 

"Sans exemplarité, il ne peut y avoir d'autorité"

Gérard Cagna, se lève alors du premier rang pour définir l'engrenage de la violence : "Ca commence par des petits coups, des béquilles… En dehors de la poignée de main, la peau c'est sacré, une barrière infranchissable. Un jour, chez Maxim's, je lavais les champignons. Il fallait aller vite. Le chef m'a mis une tape dans le dos. Tout mon corps a vibré. À l'époque, je lançais le disque de 1 kg à 40 mètres, j'aurais pu l'étaler. Nous étions dans les années 1960... Si j'avais rendu le coup, ma carrière aurait été fichue. J'ai pleuré. Ça fait du bien de pleurer." À Alain Passard et Thierry Marx de conclure par vidéo. À la question : « Tu as reçu des coups ?", le chef de L'Arpège répond : "Oui, mais je préfère ne pas citer de noms. Ce sont des gens respectables, ils en devenaient laids. Plus tard, tu te sers de ce qu'ils t'ont fait subir." Enfin, pour Thierry Marx : "Sans exemplarité, il ne peut y avoir d'autorité." Il reste enfin à s'interroger sur ce qu'il se passe dans certaines cuisines lorsque le chef est absent, et en particulier sur l'attitude des 'petits caporaux' envers les plus faibles.


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Publié par Francois PONT



Commentaires
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EMC

mercredi 19 novembre 2014

verbale, psycologique ....encore une raison très attractive pour les jeunes qui commence dans la restauration....LOL
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ycinotti

mercredi 19 novembre 2014

Un article passionnant. On en redemande.
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fralep

jeudi 20 novembre 2014

Le sujet est très intéressant et on pourrait s'attendre à voir émerger des conclusions sous forme de prescriptions pour combattre et résorber ces formes de violences, dont il n'est pas assez clairement dit qu'elles sont inadmissibles et font honte à la profession. Malheureusement, est-ce le collège ou l'article? mais tout ça n'est que descriptif et ça se contente de constater. Il manque donc les règles de bonnes conduites pour éviter de tels phénomènes. On attend la suite...
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lolo

jeudi 20 novembre 2014

C'est un métier d'exception qui nécessite une conduite d'exception, de la part de chacun ... la sanction est immédiate et c'est le client qui la donne au final
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jackouille27

jeudi 20 novembre 2014

C'est affligeant de voir qu'il n'y a qu'un constat et que oui la violence verbale et physique existe en cuisine, je dirais même que cela fait partie du métier. Et après vous vous étonnez de ne pas trouver de salariés, posez-vous des questions, faites un tetxe des règles de vie en cuisine, je sais pas mais bougez-vous c'est votre métier qui est en jeu.
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Sgibbo

jeudi 20 novembre 2014

J'avoue que j'ai toujours eu la passion de la cuisine mais la façon dont le personnel est traité dans la restauration m'a stoppé à poursuivre une carrière dans cette profession. L'hôtellerie n'est pas mieux. J'ai travaillé 6 ans en réception dans des hotel 3 à 4 étoiles. Les abus de pouvoir et les intimidations j'ai connu. Quand je suis partie m'installer en Angleterre je n'ai même pas dit où j'allais par peur de représailles. Cela fait 12 ans de cela et cela n'a toujours pas changer.
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jeanjo

jeudi 20 novembre 2014

EMC c'est sûr quand on lit ton niveau d'orthographe on a compris....
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jeanjo

jeudi 20 novembre 2014

Sgibbo Change de métier non?
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Sgibbo

vendredi 21 novembre 2014

Jeanjo ce que j'ai voulu dire c'est que j'ai quitter le métier il y a 12 ans mais quand lisant cette article je réalise que les mentalités n'ont pas évoluées
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jackouille27

vendredi 21 novembre 2014

A quand une grande eenquête de L'Hotellerie sur les conditions de travail du personnel de cuisine et cela via un questionnaire disponible sur ce site par exemple, ce devrait être éloquent. Et il faudrait ratisser large comme l'on dit(brimades verbales ou physique, racisme, non respect des contrats de travail et CC etc.....etc......
Résultat par catégorie de point de ventes (brasserie, resto rapide, étoilés.......)
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mimi

mardi 25 novembre 2014

Et le respect commence par ne pas se moquer ouvertement au niveau des commentaires d'une personne qui fait de légères fautes d'orthographes ! En effet en Restauration on s'en fout de savoir si tel personne est un bon écrivain, ce qui compte c'est la compétence culinaire et la volonté de bien faire ! Ceux qui se moquent sont les premiers à abuser de violences physiques ou verbales au travail ! A bon entendeur salut
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mimi

mardi 25 novembre 2014

Quant à moi, je travaille depuis 10 ans dans l'hôtellerie et je peux témoigner que les employés ( Réception, Etages, Services petit-déjeuner ) sont exploités. Sous-effectif, conséquence directe Sur-travail, conséquence directe stress, conséquence directe démotivation, conséquence directe harcèlement, conséquence directe licenciement ou démission forcée
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mimi

mardi 25 novembre 2014

Alors à quand une manifestation KEEP COOL & work, wellcome COOL ?
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jeanjo

mardi 25 novembre 2014

Oh mimi ne t'enflammes pas change de métier aussi au lieu de te plaindre !!!!
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mimi

mercredi 26 novembre 2014

Quel poste as-tu Jeanjo pour te permettre caché derrière tes commentaires lâches de dénigrer les autres ? J'aime mon métier et je ne t'autorise pas à me juger!
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mimi

mercredi 26 novembre 2014

Le but de cet article est justement de mettre en lumière les abus de toutes sortes alors que ceux qui n'apportent rien pas leurs commentaires creux, s'abstiennent!
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mimi

mercredi 26 novembre 2014

C'est précisément parce que j'aime mon métier que je trouve qu'il est lamentable que des personnes se permettent par leur comportement de dévaloriser et de ce fait démotiver les gens... Les plus faibles ne sont pas forcément les moins compétents...

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