“Mes collègues m’appelaient “Monseigneur”. C’était bienveillant. L’ambiance dans les cuisines du Royal Monceau était virile, exigeante mais chaleureuse. J’étais chef de partie sous la direction du meilleur ouvrier de France Gabriel Biscay. Je suis passé aux sauces, aux entremets mais j’adorais le poste du poisson. J’ai gardé des relations avec les membres de la brigade où régnait la camaraderie. Lorsque j’ai rejoint l’église, j’ai baptisé les enfants de mes anciens collègues. J’ai parfois prononcé des oraisons funèbres pour ceux qui nous ont quittés depuis. Lorsque j’ai été ordonné prêtre, beaucoup de toques blanches étaient présentes à la cérémonie, le chef Gabriel Biscay par exemple”, se souvient le père Esclef avec une voix pleine d’émotion. Car avant de se voir confier la paroisse de Saint-Jean-Baptiste-de-Belleville (Paris, XIXe), Stéphane Esclef a longtemps été cuisinier, notamment au Royal Monceau.
Né à Amiens, élevé par sa grand-mère “parce que mes parents ouvriers travaillaient beaucoup”, il découvre le goût de la cuisine à ses côtés. Il entre en BEP cuisine à Amiens et c’est lors de son premier stage à l’hôtel des Cèdres de Gréoux-les-Bains (Alpes-de-Haute-Provence) que la cuisine s’impose comme une évidence : “J’aimais le perfectionnisme, la précision, faire plaisir aux autres, se donner sans compter.” Il rejoint l’école hôtelière du Touquet (Pas-de-Calais) d’où il ressort avec un BTS. Le service militaire l’envoie à Cambrai (Nord), comme cuisinier au mess des officiers du centre de recrutement. “Un camarade avec qui je faisais les 400 coups pendant les permissions, me propose de l’accompagner à Lourdes. C’est là que j’ai rencontré le Christ. Un choc immense, une révélation !” Pourtant, il poursuit sa carrière dans la gastronomie et part pour l’Autriche. Stéphane Esclef exerce trois ans comme chef de partie au palais Schwarzenberg à Vienne : “Les réceptions étaient grandioses. J’adorais cette cuisine bourgeoise faite de plats dont les fonds étaient décorés de rosaces de légumes prises dans la gelée. J’ai gardé toutes les photos !”
“Cet esprit collectif se retrouve dans mes activités paroissiales”
Puis c’est la découverte de Paris au Royal Monceau. Le jeune homme poursuit en parallèle son apprentissage liturgique : “J’allais à la messe une fois par quinzaine car je n’avais qu’un dimanche de congé toutes les deux semaines.” Il quitte finalement le palace pour rejoindre le séminaire et être ordonné prêtre en 2003. Le rapport entre l’église et la cuisine lui semble bien plus évident qu’il n’y paraît : “C’est le sens de la dévotion. Au fond, entrer en cuisine, c’est aussi entrer au séminaire ! J’ai dirigé des équipes. Alors cet esprit collectif se retrouve dans mes activités paroissiales. Dans les cuisines de palace, j’étais exigeant envers ma brigade mais toujours bienveillant. Si j’ai assisté à des scènes d’emportements, j’étais toujours là pour apaiser. La foi c’est aussi les actes. J’ai aidé des collègues. J’en ai logé chez moi. Ainsi, les cuisiniers ont constaté que je n’étais pas dans une posture. Cela a changé le regard sur moi. Le dimanche, je faisais une prière avant le service dans la cuisine. Ils ont été nombreux à me rejoindre ensuite pour ce moment de recueillement avant le coup de feu. On m’a souvent posé des questions sur dieu, la foi, ce qui n’excluait pas les taquineries. On m’a gravé trois croix sur ma boîte à couteaux”, s’amuse Stéphane Esclef qui, au titre de doyen, chapote six églises du nord-est parisien.
Son histoire est si singulière qu’elle a fait l’objet d’un livre paru en mai 2018 aux éditions Salvador Quand le curé se met à table. L’ouvrage se serait déjà vendu à 5 000 exemplaires. Quant à son passé de cuisinier, il l’habite toujours : “J’ai pris des dispositions pour être enterré avec ma toque !”
00 exemplaires. Quant à son passé de cuisinier, il l’habite toujours : « J’ai pris des dispositions pour être enterré avec ma toque ! »
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Publié par Francois PONT