Les incivilités en salle et en terrasse

Paris (75) Dans une communication de juin dernier, la police évoquait "le délitement du lien social entre les Français." Un état des lieux que les restaurateurs constatent chaque jour un peu plus.

Publié le 16 novembre 2015 à 11:16

"Tu vas voir ce que l'on va te mettre sur internet !" Pour quelle sombre raison un restaurateur du Sud-Ouest a-t il pu recevoir telle diatribe et à la seconde personne du singulier ? "Il a refusé d'attribuer une table qui était réservé", s'émeut Hervé Montoyo, président de l'Umih 66, qui rapporte cette anecdote. Il apparaît désormais risqué pour un restaurateur de refuser l'accès à ses toilettes ou de demander à un passant de ne pas pique-niquer sur sa terrasse. Cette toute puissance affichée par des consommateurs, qui sous-entendent leur capacité de nuisance électronique pour exercer menaces ou caprices, s'inscrit dans les nouvelles formes d'incivilité auxquelles la restauration doit faire face.

L'hyperconnexion des clients et le nouveau métier de 'chuteur'

Gilles Goujon, chef trois étoiles de L'Auberge du vieux puits à Fontjoncouse (Aude), et Alexandre Gauthier, de la Grenouillère à la Madelaine-sous-Montreuil (Pas-de-Calais), déploraient récemment dans une tribune leur impossibilité à déconnecter les gens : "On tweete, on like, on commente et le plat est froid", confiait, dépité, le chef du nord de la France. Une analyse que l'on retrouve dans la bouche d'un grand chef participant à la fondation du Collège culinaire de France en juillet 2014 à Issy-les-Moulineaux : "Des clients âgés avaient invité leurs petits-enfants pour célébrer à grand frais leur noce de vermeil. Ces derniers ont tweeté et instagramé les plats pendant tout le repas ne montrant aucun égard pour leurs grands-parents. C'était indigne." Et voilà le New-York Times qui évoque ces clients sans gêne qui montent sur les chaises pour faire des photos lorsqu'ils ne sortent pas le trépied au milieu des convives. Internet a bousculé les comportements au restaurant mais pas seulement.

La baisse du seuil d'acceptation de la population conjuguée à la déliquescence des règles élémentaires de politesse crispent les rapports humains derrière les comptoirs, dans les salles de restaurant et sur les terrasses. Samuel Urbain, propriétaire du Bistrot Urbain à Paris (Xe) évoquait dans nos pages les vols à l'arrachée dans les assiettes des clients en terrasse mais aussi les crachats et insultes proférés par des gens du voyage installés la journée dans un parc voisin. Vitrine d'un établissement, la terrasse devient, en certains endroits, un fardeau avec l'apparition d'une mendicité agressive, les redevances municipales mais aussi les plaintes des riverains qui obligent les cafetiers à tempérer les excès d'une jeunesse, parfois, hyper alcoolisée. Le métier de 'chuteur', sorte de vigile chargé de faire baisser les voix et les incivilités des clients sur la voie publique (miction sauvage, cris, vandalisme, bris de bouteilles, tapis de mégots…), semble promis à un bel avenir.


Un tiers des Français souffrent d'incivilité

Selon une enquête du cabinet de conseil Eleas publiée l'été dernier, les incivilités relèvent, pour 66 % des salariés, du manque de respect des codes de politesse envers autrui, des règles comportementales et de cordialité. Les incivilités émanent plus souvent de personnes extérieures mais aussi de collègues de travail (48 %). La profession de restaurateur, en contact avec le public, se retrouvera dans le classement des incivilités les plus courantes établies par l'étude : les clients qui ne supportent pas de patienter, ceux qui parlent fort, qui ont des enfants bruyants ou étalent leur vie privée, ceux qui ne disent ni bonjour ni au revoir, et ceux qui font preuve d'irrespect 'par le regard ou la voix'.

Pour s'opposer aux attitudes odieuses, des restaurateurs ont su réagir et améliorer la situation, souvent avec humour. Face au manque de politesse de certains clients, Alexis Hespel du Café de la place à Menthon-Saint-Bernard (Haute-Savoie) ventilait le prix du café ainsi : 'Un café ! 5 €', 'Bonjour, un café : 2,50 €', 'Bonjour, un café s'il vous plaît : 1,40 €'. "Une ristourne en sus si on dit merci ?", surenchérissaient les clients qui ont bien pris l'initiative. L'impolitesse étant sans frontière, Associated Press rapportait l'initiative d'un restaurateur israélien, Jawdat Ibrahim, qui proposait 50 % de réduction aux clients qui couperaient leur téléphone portable le temps du repas. Les nouveaux comportements et la prise de pouvoir des clients à l'ère de la consommation collaborative ne doivent pas estomper la règle fondamentale selon laquelle le client est roi. Ainsi, plutôt que de placardiser des règlements ou d'instaurer une relation de défiance, les restaurateurs auraient intérêt à pratiquer les messages décalés ou avoir recours à des formations spécifiques.

De multiples  formations pour mieux gérer les incivilités

À l'initiative des employeurs ou des employés, dans le cadre du droit à la formation par exemple, de nombreux centres de formation proposent des programmes courts, de deux ou trois jours, pour apprendre à gérer et prévenir l'agressivité des clients et les incivilités. Des programmes pointus souvent appuyés de jeux de rôles. On notera pour l'année 2016 la formation du Cegos avec la méthode Eric, qui a pour objet de faire baisser la pression sans renoncer à la satisfaction client. Ou encore celle du CSP, qui propose en deux jours de déjouer les pièges de la passivité, de la manipulation et de l'agressivité ou de formuler une demande ferme mais courtoise.


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Publié par Francois PONT



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