"Tu vas voir ce que l'on va te mettre sur internet !" Pour quelle sombre raison un restaurateur du Sud-Ouest a-t il pu recevoir
telle diatribe et à la seconde personne du singulier ? "Il
a refusé d'attribuer une table qui était réservé", s'émeut Hervé
Montoyo, président de l'Umih 66, qui rapporte cette anecdote. Il
apparaît désormais risqué pour un restaurateur de refuser l'accès à ses
toilettes ou de demander à un passant de ne pas pique-niquer sur sa terrasse.
Cette toute puissance affichée par des consommateurs, qui sous-entendent leur
capacité de nuisance électronique pour exercer menaces ou caprices, s'inscrit
dans les nouvelles formes d'incivilité auxquelles la restauration doit faire
face.
L'hyperconnexion des clients et le nouveau métier de 'chuteur'
Gilles Goujon, chef trois étoiles de
L'Auberge du vieux puits à Fontjoncouse (Aude), et Alexandre Gauthier,
de la Grenouillère à la Madelaine-sous-Montreuil (Pas-de-Calais), déploraient récemment
dans une tribune leur impossibilité à déconnecter les gens : "On
tweete, on like, on commente et le plat est froid", confiait,
dépité, le chef du nord de la France. Une analyse que l'on retrouve dans la
bouche d'un grand chef participant à la fondation du Collège culinaire de
France en juillet 2014 à Issy-les-Moulineaux : "Des clients âgés avaient
invité leurs petits-enfants pour célébrer à grand frais leur noce de vermeil.
Ces derniers ont tweeté et instagramé les plats pendant tout le repas ne
montrant aucun égard pour leurs grands-parents. C'était indigne." Et
voilà le New-York Times qui évoque ces clients sans gêne qui montent sur
les chaises pour faire des photos lorsqu'ils ne sortent pas le trépied au
milieu des convives. Internet a bousculé les comportements au restaurant mais
pas seulement.
La baisse du seuil d'acceptation de la population
conjuguée à la déliquescence des règles élémentaires de politesse crispent les
rapports humains derrière les comptoirs, dans les salles de restaurant et sur
les terrasses. Samuel Urbain, propriétaire du Bistrot Urbain à Paris (Xe)
évoquait dans
nos pages les vols à l'arrachée dans les assiettes des clients en terrasse
mais aussi les crachats et insultes proférés par des gens du voyage installés la
journée dans un parc voisin. Vitrine d'un établissement, la terrasse devient,
en certains endroits, un fardeau avec l'apparition d'une mendicité agressive,
les redevances municipales mais aussi les plaintes des riverains qui obligent
les cafetiers à tempérer les excès d'une jeunesse, parfois, hyper alcoolisée.
Le métier de 'chuteur', sorte de vigile chargé de faire baisser les voix et les
incivilités des clients sur la voie publique (miction sauvage, cris,
vandalisme, bris de bouteilles, tapis de mégots…), semble promis à un bel
avenir.
Un tiers des Français souffrent d'incivilité
Selon une enquête du cabinet de conseil Eleas publiée
l'été dernier, les incivilités relèvent, pour 66 % des salariés, du manque
de respect des codes de politesse envers autrui, des règles comportementales et
de cordialité. Les incivilités émanent plus souvent de personnes extérieures
mais aussi de collègues de travail (48 %). La profession de restaurateur,
en contact avec le public, se retrouvera dans le classement des incivilités les
plus courantes établies par l'étude : les clients qui ne supportent pas de
patienter, ceux qui parlent fort, qui ont des enfants bruyants ou étalent leur
vie privée, ceux qui ne disent ni bonjour ni au revoir, et ceux qui font preuve
d'irrespect 'par le regard ou la voix'.
Pour s'opposer aux attitudes odieuses, des
restaurateurs ont su réagir et améliorer la situation, souvent avec humour.
Face au manque de politesse de certains clients, Alexis Hespel du Café
de la place à Menthon-Saint-Bernard (Haute-Savoie) ventilait le prix du café
ainsi : 'Un café ! 5 €', 'Bonjour, un café : 2,50 €', 'Bonjour,
un café s'il vous plaît : 1,40 €'. "Une ristourne en sus si on
dit merci ?",
surenchérissaient les clients qui ont bien pris l'initiative. L'impolitesse
étant sans frontière, Associated Press rapportait l'initiative d'un
restaurateur israélien, Jawdat Ibrahim, qui proposait 50 % de
réduction aux clients qui couperaient leur téléphone portable le temps du
repas. Les nouveaux comportements et la prise de pouvoir des clients à l'ère de
la consommation collaborative ne doivent pas estomper la règle fondamentale
selon laquelle le client est roi. Ainsi, plutôt que de placardiser des
règlements ou d'instaurer une relation de défiance, les restaurateurs auraient
intérêt à pratiquer les messages décalés ou avoir recours à des formations
spécifiques.
De multiples formations pour mieux gérer les
incivilités
À l'initiative des employeurs ou des employés, dans le
cadre du droit à la formation par exemple, de nombreux centres de formation
proposent des programmes courts, de deux ou trois jours, pour apprendre à gérer
et prévenir l'agressivité des clients et les incivilités. Des programmes
pointus souvent appuyés de jeux de rôles. On notera pour l'année 2016 la
formation du Cegos
avec la méthode Eric, qui a pour objet de faire baisser la pression sans
renoncer à la satisfaction client. Ou encore celle du CSP,
qui propose en deux jours de déjouer les pièges de la passivité, de la
manipulation et de l'agressivité ou de formuler une demande ferme mais
courtoise.
Publié par Francois PONT