Michel Troisgros: Je suis un enfant de la balle. J'étais à l'école hôtelière de Grenoble mais je n'avais pas encore fait mon choix et j'étais très attiré par les métiers de la salle. En deuxième année de BTH, à 16 ans, j'ai fait un stage chez Alain Chapel à Mionnay. Jusque-là, la cuisine était plutôt un jeu pour moi. Cette fois, j'avais un petit rôle, une première responsabilité et j'ai aimé l'atmosphère qui régnait en cuisine. Alain Chapel était impressionnant tout en étant très proche de son équipe. J'ai été touché par sa sincérité et sa poésie. Cela a été un déclic pour moi.
Comment gérez-vous l'héritage familial ? Comment le vivez-vous ?
Je l'ai géré avec mon épouse, Marie-Pierre, qui m'a toujours épaulé, qui m'a permis de m'affranchir du passé, de la répétition et de la lassitude. Sans elle, je n'aurais pas osé orienter la maison vers le changement et la modernité. L'enjeu de la succession me faisait peur. Marie-Pierre me poussait à changer les choses, aussi bien à l'hôtel qu'en cuisine. Dans le cadre d'une transmission, les gens imaginent toujours que l'on sera moins bon que son père. Il faut redoubler d'efforts pour s'affirmer. Oui, il m'arrive de penser à ce qui a bien ou moins bien marché entre mon père et moi pendant la transmission. Mais c'était une autre époque, je ne suis pas mon père et mon fils n'est pas moi.
Vous travaillez aujourd'hui avec votre fils César. Comment se répartissent les rôles ?
Il y a trois ans, quand le chef est parti, j'ai dit à César que je pensais qu'il pouvait se lancer après les nombreuses expériences qu'il avait accumulées dans de grandes maisons. C'était un défi. Cela peut être pénalisant d'être le fils de Michel Troisgros. J'avais confiance. Il a une belle maturité qui lui a permis de tout de suite prendre la mesure de son équipe, de la dynamiser. Il a 30 ans aujourd'hui et moi 58. Il gère son équipe, les ressources humaines, les achats… Pour ma part, je suis présent à chaque service, mais surtout, je suis là pour conseiller, je pose un regard présent mais suffisamment à distance de l'action, je prends du recul et j'ai un oeil critique mais constructif. Nous échangeons sur les idées à développer, le style. Nous travaillons en duo, c'est réjouissant mais compliqué. Il faut de la sincérité et de la patience. César arrive parfaitement à se situer dans son rôle et à envisager son avenir. C'est le plus important.
Qu'est-ce qui vous motive aujourd'hui ?
Réussir notre projet d'entreprise et passer le témoin, aller de Roanne centre-ville à Roanne campagne, avec le transfert du restaurant 3 étoiles dont le déménagement est prévu en mars 2017.
Votre grand plat classique favori ?
Le pot-au-feu.
Saint-pierre tout en finesse, à la truffe.
Le plat de votre carte que vous préférez ?
Le printemps de sentiments, qui conjugue trois éléments de la prairie naturellement faits pour être ensemble : les mousserons, la peau de lait caillé et l'infusion de foin. Ce plat a un côté très sentimental, voire maternel. Il est lié à l'enfance. Il me rappelle des moments partagés avec mon père, car nous allions toujours aux mousserons, et ceux dans la famille de ma mère, agriculteurs dans le Frioul en Italie.
Au restaurant, en tant que client, sur quoi se porte votre attention ?
Lorsque Marie-Pierre et moi allons au restaurant, nous observons d'abord le service, comment le personnel va et vient. Cela nous permet de penser à ce qui se passe chez nous. J'aime le naturel. Je ne supporte pas quand c'est récité. Je me moque un peu des règles ou, plus exactement, elles doivent être sous-jacentes et non apparentes.
Ce qui vous agace le plus ?
Je trouve tristes les petits restaurants qui veulent faire trop sophistiqués. Souvent, ils sont loin de leur terroir. Cela manque d'authenticité. La cuisine respire trop l'effort et il n'y a pas assez de sens.
Le secret de la réussite ?
Pour moi, la réussite c'est un parcours de vie, s'épanouir dans son travail et dans sa vie personnelle. Je crois qu'il faut penser à l'avenir et pas seulement au passé, même s'il reste un socle. Aller de l'avant, se questionner. Et je crois de plus en plus aux valeurs de partage, notamment avec ses collaborateurs. Il faut partager les joies, les peines, les objectifs qui ont du sens.
Un rêve à réaliser ?
Être fier et heureux d'avoir transmis.
Publié par Nadine LEMOINE