Serge Vieira : "Je ne choisis jamais la facilité"

Chaudes-Aigues (15) Passionné d'architecture et de design, le vainqueur du Bocuse d'or 2005 s'est créé une maison unique, 2 étoiles Michelin et Relais & Châteaux, où il laisse libre cours à son imagination, en refusant de s'enfermer dans une carte aux plats inamovibles.

Publié le 30 mai 2019 à 12:05

L’Hôtellerie Restauration : Quand avez-vous su que vous vouliez devenir cuisinier ?

Serge Viera : J’étais un élève moyen en troisième. Lorsqu’on m’a parlé d’orientation, j’ai pensé d’emblée au dessin industriel qui me plaisait beaucoup. Mais c’est le travail d’un ami cuisinier lors d’un dîner qui a tout changé. J’ai vu les gens se régaler, partager un moment de plaisir et j’ai décidé de postuler à l’Institut des métiers de Gerzat. Je suis entré en apprentissage chez Dominique Robert, à Chamalières, qui permettait aux apprentis de toucher à tout, d’explorer les différentes facettes du métier. Tout de suite, j’ai compris que c’était pour moi. Je suis issu d’une famille ouvrière d’émigrés portugais. On était cinq enfants. J’ai passé beaucoup de temps en cuisine et sur les marchés au Portugal pour préparer de grands repas familiaux. Je n’ai jamais voulu rentrer dans le moule. Je voulais être libre. Je me suis dit que c’était un métier rassembleur, où l’on mangeait à sa faim et comme j’ai eu la chance de gagner à 19 ans le concours du meilleur jeune cuisinier Auvergne-Québec, j’ai vite compris que j’allais voyager.

 

Comment définiriez-vous votre cuisine ?

Quand on assemble des produits, on le fait en fonction de sa personnalité. C’est ce que l’on est qui dicte les goûts. J’ai une cuisine qui se sert de solides connaissances techniques pour laisser libre cours à la créativité. Ici, on ne cuisine jamais les mêmes produits ni les mêmes plats. On change au fil des saisons, de l’inspiration, selon ce que je trouve au marché où je sélectionne les meilleurs produits. Je les choisis aussi en fonction des formes, des couleurs. Je prends ce qui me plaît et je compose. J’aime ce côté instantané. En fait, je m’ennuie très vite et je refuse de me sentir enfermé dans une carte. Se coller à la peau une identité culinaire, c’est se mettre des limites. Je suis un compétiteur et je ne choisis jamais la facilité. Nous sommes toujours dans la création mais sans rien laisser au hasard. Je construits mes plats avec une précision méthodique. Toutes les trois semaines, ils sont changés.

Cela donne plus de travail car nous produisons en petites quantités. Nous avons deux menus composés de plats différents. Lors de la réservation, les clients nous disent souvent pour quel menu ils optent. Cela nous permet de gérer au mieux les achats sans perte de produits. On peut aussi vendre des plats à la carte, à la demande. Je fais appel à de nombreux producteurs, petits ou grands, mais toujours avec l’exigence de la plus grande qualité. Des produits locaux ou d’ailleurs, mais du made in France. Et c’est la qualité qui prime. Mes clients viennent pour ma cuisine créative. Ils savent que lorsqu’ils reviendront, ils découvriront d’autres plats.

 

Votre plat best-seller ?

Je n’en ai pas car mes plats changent tout le temps et je ne veux pas refaire toujours le même. Les plats signature, ce n’est pas pour moi. Cela ressemble à une prison. Je veux que les clients viennent pour l’ensemble de ma cuisine, pour vivre des émotions. Je mets l’humain au cœur de tout.

 

Votre plat préféré à la carte ?

Radis, raifort, bouillon infusé à la gentiane. C’est très difficile de choisir un plat. En fait, je ne suis jamais satisfait. Je pense que l’on peut toujours faire mieux.

 

Le dernier repas le plus époustouflant ?

À l’Espadon, au Ritz à Paris, avec le chef Nicolas Sale. J’ai adoré le céleri truffe taillé minute, une déclinaison originale autour du céleri.

 

En 2005, vous gagnez le Bocuse d’or. Vous venez de prendre la présidence de la Team France, association qui soutient le candidat français au Bocuse d’or. Quel souvenir gardez-vous de votre victoire ?

Je me souviens de Paul Bocuse qui annonce : “La France” et de mon père qui chante la Marseillaise. Pour m’épauler, j’avais à mes côtés Régis Marcon, Jacques Décoret, Éric Pras et Davy Tissot. Je devais les satisfaire tous les quatre. Je prenais en compte leurs avis, leurs propositions, mais j’étais décisionnaire. Régis Marcon a su trouver les bons mots, me ménager des temps de repos. Cela représente un gros boulot. La réussite demande beaucoup de travail et un peu de chance. J’ai gagné avec un point d’avance sur le deuxième. Que serait-il arrivé par la suite si je n’avais pas eu ce point ? C’était une aventure incroyable !

 

Il y a dix ans, vous deveniez chef-patron. Qu’est-ce qui vous a fait sauter le pas ?

J’ai toujours su que je ne serai pas salarié toute ma vie. Le déclic, je le dois à Régis Marcon qui m’a conseillé de capitaliser sur ma victoire au Bocuse d’or en 2005. Marie-Aude [Vieira, son épouse NLDR] et moi avons commencé à y songer. On voulait être à la campagne avec un accès autoroutier à moins de trente minutes. Après de longues recherches, nous avons visité le château du Couffour, qui date du XIVe siècle, avec sa vue exceptionnelle sur la vallée de Chaudes-Aigues. Nous avons participé à la création du restaurant attenant d’inspiration contemporaine en verre, bois, acier oxydé et pierre de lave. Le mariage de l’ancien et du contemporain comme nous l’aimons. Avec Marie-Aude, nous avons appris sur le tas, écouté les conseils et commencé à relever le défi ; devenir une destination gastronomique. Nous sommes associés à 50/50. Le Bocuse d’or m’a permis d’être suivi tout de suite par les médias, de nouer des partenariats, mais aussi de devenir coach pour l’équipe australienne en 2006 et 2008. Nous avons ouvert le restaurant et trois chambres en 2009 avec cinq salariés. En dix ans, nous sommes passés à 39 salariés en comptant nos collaborateurs de Sodade, l’hôtel 4 étoiles de 18 chambres et du restaurant Bib Gourmand inauguré fin 2018.

 

Une étoile en 2010, deux en 2012, pensez-vous à la 3e étoile ?

Ce serait une reconnaissance pour tous ceux qui ont travaillé dans notre maison. Je pars du principe que l’on ne fait rien tout seul. J’attache une grande importance au travail de mes équipes. Ce serait aussi un atout fabuleux pour la région, une reconnaissance pour notre terroir. Je suis auvergnat et très attaché à mon territoire. La clientèle s’ouvre d’ailleurs de plus en plus sur l’international et c’est bien. Depuis dix ans, je mets tout en œuvre au quotidien pour aller vers toujours plus d’excellence, pour faire ressentir des émotions. Une troisième étoile, on ne peut pas la prévoir mais on peut donner le meilleur au quotidien pour ses clients pour la rendre possible.

 

Avez-vous des projets ?

Nous avons racheté une ancienne école à Chaudes-Aigues dans laquelle nous envisageons de créer une boulangerie-salon de thé avec une production de bourioles, sorte de crêpes locales. Le bâtiment pourrait nous permettre de créer des appartements pour loger nos collaborateurs. Nous avons aussi un projet de spa à côté du restaurant gastronomique et de quatre suites dans la tour du château.

 

Le secret de la réussite ?

Il faut du courage, de la détermination, savoir pour quoi on se lève le matin pour bien faire les choses. Sans effort, on n’a rien. Il faut croire en ses projets. C’est dur mais ce métier ouvre tellement de portes. Je pense que la passion est une source d’énergie précieuse et qu’elle mène toujours à la réussite dès lors qu’elle nous fait vivre des émotions.

 

Serge Vieira Bocuse d'Or #ChaudesAigues#


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Publié par Nadine LEMOINE



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