L’Hôtellerie Restauration : Depuis la création de votre restaurant La Scène en 2019, votre parcours a été riche. Comment gérez-vous toute cette entreprise ?
Stéphanie Le Quellec : J’ai passé vingt de ma carrière dans la restauration des hôtels. En 2019, je suis repartie de rien en créant la Scène. Quand on commence, il faut aussi penser à l’équilibre économique de la maison. En sous-sol, il y a le gastronomique et au rez-de-chaussée la brasserie. Ensuite, Pierre Chirac nous a rejoint. Au départ, je ne voulais pas de chef pâtissier, je pensais que la maison était trop petite. Quand il a postulé, je ne savais pas trop quoi lui dire. Plusieurs personnes me l’ont recommandé donc je l’ai appelé pour le rencontrer. Ça été un vrai coup de foudre. C’est merveilleux, nous avançons dans la confiance, il grandit et fait grandir les maisons.
Mon mari [David Le Quellec NDLR] m’a rejoint récemment en tant que chef exécutif du groupe. Puis, après le confinement, nous avons créé MAM, dirigé par ma mère [Ptaricia Lecoq, NDLR] qui est assistée par l’épouse de Pierre Chirac. Guillaume Goupil nous a également rejoint en cuisine en début d’année. Et depuis septembre 2020, je peux compter sur l'appui de Joseph Desserprix en tant que directeur du restaurant.
Nous avons d’autres projets à venir, donc on se structure pour qu’à la tête de chaque maison il y ait un responsable, et faire en sorte que chaque lieu soit incarné. Nous avons une cinquantaine d’employés et, d’ici la fin de l’année, cela va évoluer. Depuis trois ans que je suis chez moi, j’ai besoin de retrouver du lien, j’ai besoin des gens, et de créer des choses qui ont du sens.
Vous avez créé un cercle familial autour de vous. Pourquoi ?
Nous tenons à créer un véritable cocon familial et maintenir un accès direct à nous tous pour nos employés. Il faut accepter que ce soit familial, que parfois un enfant peut passer pour dire bonjour à l’un de ses parents. On vit une époque d’une violence rare, au-delà du covid et de la guerre, les gens sont pressés, on se fait insulter. Tout le monde est sans arrêt à cran. Je trouve important de remettre un peu de douceur, de réhumaniser tout ça. Il faut faire simple et penser différemment.
Vous avez ouvert MAM fin 2020, un traiteur nouvelle génération, une épicerie fine mais aussi une pâtisserie à part entière. Pourquoi ?
Il y a toujours deux façons de voir les choses dans les impondérables. Tout le monde a souffert du le covid, mais nous avons voulu en faire quelque chose. Nous avons proposé un peu de vente à emporter, mais avec une offre différente de celle du 2 étoiles. On s’est dirigé vers des plats rassurants, comme la blanquette, le pâté en croûte. Une cuisine qui ne déçoit pas quand on l’a réchauffée. Nous l’avons proposé dans une logique de qualité, une démarche d’excellence. D’où l’idée d’ouvrir MAM. C’est une maison dédiée à cela, à ma cuisine de maman, celle qui m’a été transmise par ma maman, celle que je fais à mes enfants.
Vous proposez un menu unique, pourquoi ?
Je viens d’avoir 40 ans, j’assume mon histoire que je tiens à partager avec mes clients. Je propose une histoire sous forme de menu en sept ou dix temps. C’est un cheminement dans lequel on retrouve mes influences, mes expériences, mes voyages. Mais nous sommes très souples, si quelqu’un préfère un menu entièrement végétal, on le fait, s’il faut enlever quelque chose aussi. Il y a toujours plusieurs possibilités, la partition est large, on s’adapte. Les clients doivent être surpris, interpelés. Nous travaillons sur des séquences marquantes, avec le pain par exemple, que l’on fait nous-mêmes. C’est un fil conducteur dont on a tenu souligner la sortie dans le cadre d’un dessert au pain.
Quel est le produit que vous aimez travailler en particulier ?
D’une manière générale, j’aime travailler les produits de la mer. Le végétal prend également beaucoup d’importance et j’ai un affect particulier avec le territoire de la bretagne, de la Normandie et celui de la Provence. Nous commençons toujours avec un bouillon de crevettes grises. Je peux ensuite proposer un rouget, qui va symboliser mes six années passées en Provence, ou encore un turbot avec des coquillages. Les produits que j’aime cuisiner sont ceux que j’aime manger.
Sur votre carte vous avez fait inscrire : la Troupe et le Casting. Quel est le message ?
On s’appelle La Scène, nous sommes là pour raconter une histoire. La Troupe, ce sont les membres de notre équipe. Je réfléchis l’histoire, je la mets en scène mais je ne suis pas la seule à en être l’actrice. C’est avec eux que je joue. Le Casting, ce sont nos producteurs. On ne pourrait pas raconter cette histoire sans eux. Le vrai boulot difficile, c’est eux : le pêcheur, c’est celui qui met ses bottes tous les matins pour creuser le sable et trouver des coques, le maraîcher qui travaille 365 jours par an pour fournir deux mois asperges… On est le dernier maillon de la chaîne. On parle beaucoup des chefs, c’est très flatteur, mais on ne représente que la partie émergée de l’iceberg. C’est important de mettre un nom sur nos producteurs, éleveurs… C’est un travail très long, cela fait douze ans que nous allons à la rencontre de ces gens, qui nous inspirent des plats. Cela nous permet de cultiver notre différence, de cultiver une identité. Que ce soit le casting ou la troupe, ce sont des rencontres humaines incroyables. Heureusement que l’on fait un métier où l’humain est au cœur de tout.
Avez-vous des idées, des pistes pour remédier aux problèmes d’attractivité du secteur ?
Nous sommes fermés le samedi et le dimanche. C’est un choix de vie très égoïste, je souhaite être là à tous les services et je veux aussi voir et profiter de mes enfants le week-end. La psychorigidité c’est terminé. Il faut comprendre que ce qu’a fait notre génération, la nouvelle ne le fera pas. Moi aussi, j’ai mes limites. Le vendredi soir je suis rincée, comme eux. Donc, on fait moins bien parce que l’on est fatigué et à la fin, le client en pâti. C’est non.
Justement, quelle est votre vision du métier vis-à-vis des jeunes ?
L’école hôtelière et l’Éducation nationale vont devoir se fondre plus dans le métier. Il y a des jeunes qui décrochent en cours d’année ou au premier stage parce que ce n’était pas ce qu’ils attendaient. Il serait bon d’avoir une vraie synergie, une vision globale. On a des apprentis en cuisine que l’on accompagne mais il y a quand même un décalage entre le système scolaire et la vie professionnelle. Il y a eu des efforts, notamment au niveau des aides, mais il faut une cohérence entre l’école et le métier. En ce qui me concerne, je veux que les jeunes qui commencent un cursus le terminent. J’ai trois fils [18, 16 et 4 ans], j’assume complètement d’être la maman des équipes. Je dois leur parler comme je parlerai à mes enfants. Je dois penser à eux avant de penser à moi. C’est aussi pour cela que Guillaume Goupil nous a rejoint. C’est pour que je puisse me consacrer à la transmission. Je préfère être avec les équipes, à montrer comment on mente un filet, un jus réduit, comment on fait bien mousser une sauce, plutôt qu’autre chose.
Le secteur a du mal à valoriser les métiers de salle. Qu’en pensez-vous ?
J’ai suivi un cursus où j’ai fait autant de salle que de cuisine. Je sais combien c’est difficile de se retrouver devant le client. Le personnel en salle est porteur du message du chef et, en même temps, il doit être à l’écoute du client. On peut être le meilleur cuisinier du monde, s’il n’y a personne pour transmettre auprès du client, pour porter la cuisine, avec force et conviction, il ne se passera rien. La cuisine n’a de sens que si on a un alter ego en salle. Cela vaut pour la salle mais aussi pour la sommellerie. Il y a une vraie prise de conscience de tout ça, notamment des chefs. Mais ce n’est pas suffisant pour que les jeunes aient envie. Pour la cuisine, il y a des émissions qui donnent envie, qui font rêver, les chefs ont beaucoup pris la lumière. Il faut trouver un angle pour montrer à quel point ces métiers du service sont beaux. Faire plaisir à un client en l’accueillant, c’est essentiel. J’ai envie de porter ce message-là, de m’engager pour ça.
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Publié par Romy CARRERE