Yannick Alléno : Le design doit être au service de l'homme et non le contraire. La cuisine s'inscrit dans le même rapport. Comme le design, elle travaille le produit dans le respect de ce qu'il est intrinsèquement tout en l'adaptant au mode de vie de l'individu. Pour être contemporaine, la cuisine doit suivre l'évolution de l'homme et correspondre à l'ensemble de ses besoins. Il faut la penser dans sa globalité, et pas seulement se restreindre aux goûts et aux textures, voir comment elle s'inscrit dans les façons de vivre. Par exemple, aujourd'hui, il faut aller vite, les moments de dégustation correspondent à des instants. La cuisine et le design sont étroitement liés car ils s'inscrivent dans le vivre et l'être, à l'écoute du corps et de ses émotions.
La poule-au-pot peut-elle faire l'objet d'un travail de design alors qu'il s'agit d'un plat traditionnel par excellence ?
Partir d'un plat emblématique de notre patrimoine culinaire constitue une piste d'autant plus intéressante qu'elle s'inscrit dans la pure tradition. Pour surprendre, les chefs et les designers vont devoir repenser les aliments comme des matériaux à part entière, remettre en question ce qui a déjà été fait et se questionner sur ce qui peut l'être. Ne rien s'interdire en termes de création et passer outre la tradition, l'empirisme et les habitudes du « on l'a toujours fait comme ça », en bousculant les codes.
Quelle valeur apportent les végétaux à un plat de résistance ? Peuvent-ils occuper le centre de l'assiette ?
Pendant des années, le végétal a été considéré comme une garniture de l'assiette. Aujourd'hui, il faut l'aborder comme un produit en tant que tel, de la même manière qu'on pourrait le faire avec une volaille ou un pigeon. Il existe un véritable travail de recherche à mener pour le révéler comme une valeur gustative à part entière. Il faut aller au fond de la réflexion pour lui donner un rôle qui occupe le devant de la scène. Ceci d'autant plus qu'il fait partie de l'équilibre alimentaire et de la préoccupation actuelle des gens à manger bon et bien. Il est au centre de l'évolution du repas où déguster rime avec santé.
Pouvez-vous citer un grand nom du design avec lesquels vous souhaiteriez collaborer ?
J'aimerais beaucoup travailler avec Claudio Colucci, pour qui le design est un espace de liberté, à la fois pour son audace et pour son esprit avant-gardiste. Ses deux maîtres mots sont la générosité et la rigueur, dans lesquelles je me reconnais. Ses créations sont un jeu d'assemblage entre le vide et le plein, un duel de formes sensuelles qui dialoguent en s'inspirant du voyage. Comme un metteur en scène, il crée un espace où le rêve fait face au concret, subtil équilibre entre réalité et fantaisie. Il parle du design comme d'une expérience interactive. Intégrer sa démarche à ma propre recherche m'intéresserait tout particulièrement. Je me sens en phase avec le sens de son travail.