du 18 janvier 2007 |
JURIDIQUE |
JUGEMENT DÉFINITIF DE LA COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES
LES HÔTELIERS DOIVENT PAYER LA SACEM POUR LA TÉLÉVISION DANS LES CHAMBRES
La Cour de justice des Communautés européennes, saisie par l'homologue espagnol de la Sacem à l'occasion d'un litige avec un hôtelier, vient de clôturer fermement et définitivement le débat sur le droit de la Sacem à percevoir une redevance sur les télévisions dans les chambres d'hôtel en donnant gain de cause à la Sacem. Cette décision s'applique à tous les hôteliers européens.
L'euphorie aura été de courte durée pour les hôteliers français. Après l'heureux jugement du tribunal d'instance du VIIIe arrondissement de Paris, dont nous nous sommes récemment fait l'écho dans L'Hôtellerie Restauration n° 3002 du 9 novembre 2006 Revirement des tribunaux, si les chambres d'hôtel sont un lieu privé, la Sacem n'a rien à y faire, la Cour de justice des Communautés européennes (CJCE) a rendu un arrêt clair et net, qui clôture de manière définitive la question de savoir si les chambres d'hôtel disposant de postes de télévision sont oui ou non soumises aux redevances Sacem. La réponse est non seulement affirmative, mais s'impose aux hôteliers de toute la Communauté européenne.
Don Quichotte contre la Sacem
espagnole
L'Espagne a été
le théâtre d'une affaire identique dans les faits à celle de cet
hôtelier parisien. Un hôtelier espagnol (groupe hôtelier Raphaël)
refusait de régler à la SGAE (la Sacem espagnole) les redevances que
cette société d'auteur lui demandait pour les postes de télévision
installés dans les chambres.
La base de l'argumentaire de
la SGAE étant que l'hôtelier communiquait des oeuvres au public, et était
donc, à ce titre, redevable du paiement des redevances. Quant à l'hôtelier,
il affirmait qu'il ne diffusait pas à un 'public', mais à des individus
installés en sus dans les lieux privés constitués par les chambres
de l'hôtel, et qu'à ce titre, il ne pouvait pas y avoir de "communication
au public" des oeuvres protégées par la SGAE.
La décision du juge de première
instance espagnol, qui conforta l'hôtelier dans sa position, a été
à peu de choses près similaire à celle qui a été rendue
en France par le tribunal d'instance du VIIIe arrondissement de Paris.
Le juge estima que l'installation et l'utilisation de postes de télévision
dans les chambres de l'hôtel ne donnaient pas lieu à des actes de communication
au public, la chambre étant un lieu privé, et qu'en conséquence,
la SGAE n'était pas en droit de percevoir une quelconque redevance.
Bien entendu, la SGAE a fait appel
de cette décision. Elle appuya son argumentaire sur la directive européenne
de 2001/29 dite 'Directive sur l'harmonisation de certains aspects du droit d'auteur
et des droits voisins dans la société de l'information' pour fonder son
argumentation. Directive qui impose aux États membres de prévoir, dans
les lois internes, un haut niveau de protection des auteurs, et impose aux États
membre de l'UE de prévoir pour les auteurs le droit exclusif d'autoriser ou
d'interdire toute communication au public de leurs Oeuvres, […] y compris la
mise à la disposition du public de leurs Oeuvres […].
La question était de savoir ce
qu'il fallait exactement entendre par "communication au public" et "mise
à disposition du public".
Une communication d'oeuvre dans une
chambre d'hôtel, lieu privé par définition, exonérait-elle
l'hôtelier du versement des redevances
? Le juge d'appel espagnol, estimant qu'il y avait une difficulté sérieuse
d'interprétation de la directive, préféra, contrairement à
sa consoeur du tribunal d'instance du VIIIe arrondissement de Paris, "botter
en touche" et poser au juge communautaire des "questions préjudicielles"
afin que celui-ci se prononce sur l'interprétation à donner à
cette directive.
La Cour de justice européenne
appelée à trancher
Le juge espagnol posa donc
à la Cour de justice des questions pouvant être résumées
ainsi :
"La diffusion d'émissions
contenant des Oeuvres protégées à des clients installés dans
les chambres d'hôtel constitue-t-elle un acte de 'communication au public'
?"
"Les chambres d'hôtel peuvent-elles
être considérées comme des lieux strictement privés, et si
tel est le cas, la perception de redevances par les sociétés de gestion
collective des droits des auteurs et des interprètes est-elle autorisée
?"
La CJCE prendra soin de détailler
son argumentaire et de répondre de façon définitive à l'ensemble
de ces questions.
La mise à disposition,
c'est une communication au public
Dans un premier temps, la
Cour précise que pour interpréter une directive, il faut prendre en considération
non seulement les termes de la directive, mais également son contexte et les
objectifs poursuivis. Or, comme l'objectif principal de la directive était
de mettre en place une forte protection des auteurs pour que ceux-ci puissent être
correctement rémunérés lors de l'exploitation de leurs oeuvres, la
Cour doit interpréter la directive dans ce sens. En résumé, la directive
ayant été adoptée pour protéger les auteurs, il faut systématiquement
l'interpréter dans un sens favorable à ces derniers. Et la Cour de préciser
que la notion de "communication au public" doit être comprise au sens
large. Le terme public vise un nombre indéterminé de téléspectateurs
potentiels, a déjà jugé la Cour.
Appliquant cette interprétation
au cas de la clientèle des hôtels, la Cour considère que le nombre
important de personnes qui se succèdent rapidement dans un hôtel doit
être considéré comme un public.
Toute communication à un ou
plusieurs clients doit donc être considérée par les tribunaux de
chaque État membre de l'Union européenne comme une "communication
au public", et est donc soumise, à ce titre, au versement de redevances
au bénéfice des sociétés de gestion collective des droits des
auteurs.
La Cour en profite également pour
réduire à néant un autre argument de l'hôtelier espagnol
; celui-ci expliquait en effet qu'il n'avait pas "communiqué au public"
des Oeuvres, mais les avait juste "mis à disposition" de ses clients,
ceux-ci prenant eux-mêmes l'initiative d'allumer
ou non le poste de télévision. L'hôtelier arguait donc qu'il ne
faisait que "fournir un outil" pour lequel chaque client disposait du libre
arbitre de l'usage.
La Cour n'a que faire de cet argument, et affirme
qu'il suffit que l'Oeuvre soit mise à "disposition du public" pour
qu'il y ait "communication au public". À partir du moment où
les personnes composant le public (les clients de l'hôtel) ont la possibilité
d'avoir accès aux Oeuvres protégées, il y a communication au public,
et ce, même si le client ne met pas en marche l'appareil de télévision
et qu'il n'a pas eu, effectivement, accès aux Oeuvres.
Le caractère privé
de la chambre n'exclut pas la communication à un public
Mais même si la diffusion
d'émissions télévisées à des clients d'un hôtel
doit être considérée comme une "communication au public",
l'hôtelier espagnol considère que cette interprétation serait réduite
à néant si la chambre d'hôtel pouvait être elle-même
considérée comme un endroit privé. Il estime en effet que la notion
de "communication au public" sous-entend nécessairement que l'endroit
dans lequel a lieu la communication doit être public et non privé. Or,
comme il est constant que les chambres d'hôtel sont des lieux privés,
la loi ne pourrait trouver à s'appliquer.
La Cour balaye ces arguments
avancés par l'hôtelier. Elle considère que la nature du lieu où
est communiquée une Oeuvre n'a pas d'incidence : que ce lieu soit privé
ou public est sans intérêt, et seule compte la notion de communication
: la communication est-elle publique au sens donné plus haut ? Dans l'affirmative,
les sociétés d'auteurs ont droit à agir.
La Cour ayant déterminé que
les clients d'un hôtel sont un public déterminé, les sociétés
d'auteurs ont donc toute latitude pour percevoir des redevances pour les postes
de télévision disposés dans les chambres, bien que celles-ci soient
effectivement considérées comme des lieux privés, et ce, parce que
le fait de disposer des écrans de télévision entraîne nécessairement
une "communication au public" composée par les clients de l'hôtel.
Ainsi donc, cet arrêt confirme
les craintes que nous pouvions avoir à la lecture de la décision courageuse
du tribunal d'instance du VIIIe arrondissement. Nos amis hôteliers
n'ont aujourd'hui plus d'autres choix que de composer avec nos partenaires de la
Sacem et de la SPRE (Société pour la Perception de la Rémunération
équitable de la Communication au Public des Phonogrammes du Commerce), et d'accepter
de bon coeur les versements des redevances destinés, somme toute, à rémunérer
des artistes grâce auxquels leurs établissements gagnent en attractivité.
Christian
Savatier zzz66h
Complément d'articles 3012p14
Qu’est-ce qu’une question préjudicielle ?
Le mécanisme de la question préjudicielle est certes technique, mais somme toute
assez simple : lorsqu’un juge d’un pays membre de la Communauté européenne
(espagnol dans le cas présent) est amené à juger un litige et qu’il a un doute
sur la cohérence entre une loi de son pays et une directive européenne, il peut
“surseoir à statuer”, c’est-à-dire, suspendre sa décision, et demander aux juges
européens d’interpréter la directive européenne en question. Comme une directive
européenne a une force supérieure à la loi nationale, l’interprétation qui sera
faite de la directive par les juges de la Cour européenne s’imposera à tous les
pays de la Communauté européenne. En résumé, la directive européenne est
supérieure à la loi de chaque État membre, et le jugement de la Cour européenne
s’impose à tous les tribunaux des États membres de l’Union, quels qu’ils soient
(même à la Cour de cassation pour ce qui est de la France).
• Revirement des tribunaux, si les chambres d’hôtel sont un lieu privé, la Sacem
n’a rien à y faire
• Arrêt du 7 décembre de la Cour de justice des Communautés européenne (3e
chambre) SGAE/ Rafael Hoteles SA
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