"Dès le début du concours, je me suis senti très bien, pas stressé du tout. J'avais envie d'en découdre", raconte le Bocuse d'or 2013, Thibaut Ruggeri, chef adjoint de la création salée de la Maison Lenôtre, filiale de Sodexo. "Je pense que la brioche mise au point par les chefs de chez Lenôtre a permis de sortir un boeuf Rossini unique. Le Bocuse d'or, c'est une aventure ! Autant chez mon employeur qui a misé sur moi que dans ma vie familiale, puisque j'ai été très peu présent durant un an et demi. Aujourd'hui, ça a porté ses fruits. Je suis très heureux."
Quelques heures plus tôt, dans un espace concours reconfiguré de 8 000 m2, Thibaut Ruggeri, secondé par Julie Lhumeau, son commis, et soutenu par Fabrice Prochasson son coach, prenaient place dans le box n° 7. Face à l'immense tribune, les douze box de cuisine (18 m2) accueillaient les aspirants au titre de Bocuse d'or. Pendant deux jours, 24 candidats ont fait le show devant les 1 800 supporters déchaînés. Les cris, les cloches, les cornes de brume… tout y était. La pression surtout. Et de nouvelles règles du jeu.
Si le temps imparti n'a pas changé, toujours 5 h 35 pour deux plats, quelques nouveautés sont venues changer la donne. Pour la viande, sur le thème du filet de boeuf qualité certifiée des pâturages irlandais avec paleron, joue et queue, l'esprit originel du concours était conservé avec un dressage sur plat. En revanche, c'était la révolution pour le poisson. Les candidats devaient cuisiner un turbot label rouge et un homard bleu et les présenter sur assiette (et non plus sur plat), pour se rapprocher de la réalité du restaurant. Le jury a pu constater que cela influait la conception même des garnitures et que sur assiette, la température est nettement plus élevée, améliorant la dégustation.
Autre changement, qui concernait exclusivement le poisson : le marché, installé dans l'espace Métro, auquel les candidats devaient se rendre la veille du concours. Les voir traverser tout le salon pour gagner le marché et faire leur choix était un grand moment. Sur place, c'est la surprise. Les candidats découvrent le choix des organisateurs : ni chou, ni chou de Bruxelles ou d'artichaut… S'ils ne trouvaient pas les légumes auxquels ils avaient songé, ils devaient illico adapter leur recette. Les organisateurs leur avaient attribué 30 minutes pour choisir les produits nécessaires à la confection de deux des trois garnitures pour le poisson. Le candidat, son commis et son coach disposaient ensuite d'une heure pour rédiger la recette finale donnée au jury.
Ultime nouveauté, la troisième garniture devait être typique du pays du candidat. Chacun est donc arrivé de chez lui avec ses produits sans aucune interdiction. Cette dernière exigence devait favoriser la diversité et la mise en valeur des patrimoines culinaires. Tous ces changements étaient destinés à corser le concours, laisser plus de place à l'improvisation et gagner en créativité.
Cerise sur le gâteau, la création d'un jury cuisine, qui notait le respect de la recette poisson, le travail en équipe, l'hygiène et le non-gaspillage (soit 20 % de la note globale), et qui a également imposé quelques changements dans les stratégies des candidats. "Toutes ces nouveautés représentent un grand tournant pour le concours, estime Régis Marcon, membre du comité d'organisation. Observer les cuisiniers faire leur marché, chasser le gaspillage, être irréprochables sur le nettoyage de l'espace de travail, c'est aussi l'image de la profession. La référence des candidats à leur patrimoine culinaire est aussi un élément essentiel. Ils doivent trouver un thème fort, identitaire et raconter une histoire. Certes, cela change les habitudes et certains ont été décontenancés. En tout cas, le palmarès démontre que les pays qui ont joué le jeu arrivent en tête du classement. Mais je pense que lors du prochain Bocuse d'or, toutes les nations auront pris leurs marques."
Des nouveautés qui exaltent l'intérêt des supporters et des cuisiniers tout autant que la dimension spectacle du Bocuse d'or. Reste que les futurs candidats doivent rester sur leurs gardes, d'autres modifications pourraient bien les bousculer à nouveau. C'est bien là l'intérêt même du concours : relever un challenge de très haut niveau.
Publié par Nadine LEMOINE