À une heure de train du centre de Berlin, le quartier de Friedrichshagen respire cet air endimanché des banlieues lointaines. Au bord du Müggelsee, large lac à l'est de la ville, Domaines a des allures de chalet. Mais l'origine de ce restaurant carré à un étage est moins bucolique : c'est dans d'anciennes toilettes publiques que s'est installé cet établissement mêlant cuisine française et produits régionaux.
Tout commence à l'aube des années 2000 : Alexandra von Scholz, lassée de jongler entre la galerie d'art et la cave à vins qu'elle anime dans le quartier de Mitte, souhaite se mettre au vert. Avec son associée Kerstin Tietze, cette autodidacte franco-allemande part en quête d'un lieu "petit, près de l'eau". Cette destination chère aux Berlinois correspond à l'écrin qu'elles cherchent pour leur restaurant. Les services des monuments historiques les orientent vers une bicoque abandonnée. "L'endroit était dans un état désastreux. C'était bourré de détritus et recouvert de graffitis. Les toilettes n'avaient plus été utilisées depuis des années, parce que c'était cher à entretenir et qu'en RDA, l'argent manquait."
"Nous en avons bavé"
Marché conclu avec les Monuments historiques, heureux de se débarrasser d'un édifice trop coûteux à rénover. "Il fallait tout refaire : l'électricité, la plomberie, et toute l'infrastructure d'un restaurant. » Cela demandera deux ans, et l'aide d'un architecte. Au rez-de-chaussée, où se trouvait le chauffage, elle fait percer deux fenêtres, installe assez de tables pour accueillir vingt personnes et, à la place des lieux d'aisance, une cuisine et… les toilettes de l'établissement.
"Vous aviez ici des restaurants italiens, chinois, et allemands bien sûr, mais pas de cuisine française", se souvient Alexandra von Scholz. Dès lors, il faut convaincre. Et d'abord les gens du quartier – du « village », corrige-t-elle. "Nous en avons bavé. Certains, un peu plus âgés, passaient et reniflaient… Mais les clients ont été convaincus par la qualité et l'ambiance." La restauratrice a su jouer de l'exiguïté du lieu pour en faire un espace chaleureux : vue sur le Müggelsee, petites tables en bois bruns coiffés de napperons verts, lumière douce… Le format de poche du restaurant lui permet de tourner à plein sans sacrifier la qualité. "Nous faisons une trentaine de repas par jour, le double quand il fait beau."
Un pavillon attenant accueille banquets et réceptions. La cave à vins que dirige Alexandra von Scholz à quelques kilomètres de là sert de passerelle entre gourmets et oenophiles. Côté cuisine, un chef officie à temps plein. "Pour 9 €, vous avez deux plats et une boisson. Nous avons aussi de la sole fraîche à 18 € et un Médaillon de chevreuil cuit rose, sauce au porto pour 20 €. Mais nous proposons aussi des salades entre 7 et 9 €, de la bouillabaisse, des moules-frites, des huîtres, des produits de saison comme les asperges…" Elle compte renforcer l'accent mis sur les accords mets et vin : "Nous allons faire un menu de dégustation le mois prochain, où le vigneron viendra présenter son vin." Un vrai raffinement pour un lieu qui n'y était pas prédestiné.
Publié par Gilles BOUVAIST