L’augmentation des rémunérations est l'une des pistes proposées pour résoudre les difficultés de recrutement que rencontre la restauration. Pourtant, la rémunération n’est plus dans le top 5 des raisons d’être satisfait au travail selon un sondage Opinion Way pour Hub One réalisée en 2018 qui confirme de très nombreuses enquêtes précédentes. Même si, depuis, la crise est passée par là, il n’en reste pas moins que ce classement est toujours d’actualité. L’ambiance bienveillante et conviviale avec les collègues est le premier motif de satisfaction des salariés, suivi par l’équilibre entre vie professionnelle et vie personnelle.
Il est peu probable qu’une hausse des salaires puisse faire revenir l’immense majorité des collaborateurs qui ont quitté le secteur. Elle peut en revanche contribuer à fidéliser ceux qui sont restés et attirer de nouveaux personnels qui seront vraisemblablement assez peu qualifiés.
Si l’on s’intéresse maintenant aux aspects économiques, je vous propose d’examiner les conséquences d’une hausse significative des salaires sur le modèle économique de la restauration dont la profitabilité (résultat d’exploitation ÷ chiffre d’affaires) est structurellement relativement faible, de l’ordre de 8 % en moyenne. Dans le tableau, nous examinons les deux situations qui nous semblent les moins vraisemblables.
Modèle actuel |
scénario 1 |
scénario 2 |
|
Chiffres d'affaires |
100 |
100 |
104 |
Matières |
30 |
30 |
30 |
Personnel |
40 |
44 |
44 |
Frais généraux |
12 |
12 |
12 |
Coûts d'occupation |
10 |
10 |
10 |
Résultat d'exploitation |
8 |
4 |
8 |
La colonne 'modèle actuel' représente la structure des coûts généralement observée en restauration.
Scénario 1 : Les salaires augmentent de 10 % sans aucun autre changement de modèle. Dans ce cas, la profitabilité du secteur est divisée par 2.
Scénario 2 : La hausse des salaires est répercutée sur les prix pour maintenir la profitabilité. Dans ce cas, les prix devront augmenter de 4 %, ce qui peut sembler raisonnable, mais d’autres causes de hausse des prix apparaissent (augmentation du coût de certaines matières premières, de l'énergie…) qui risquent d’accentuer la tendance à la hausse des prix. La loi économique fondamentale étant que le prix résulte des forces du marché, la faisabilité et le dosage de cette solution dépendront du marché local et du comportement des concurrents.
Tout remettre à plat pour rester rentable
Dans SOS Experts Gestion en CHR : Outils pratiques et dans plusieurs articles du journal, je montre que le ratio personnel ne dépend pas seulement du niveau de rémunération mais aussi du concept, de l’organisation du travail et du management par leur effet sur la productivité.
En agissant sur ces trois déterminants, un scénario 3 devient envisageable : augmentation des salaires de 10 %, réduction du nombre d’heures travaillées de 10 %. Dans ce cas, la structure actuelle des coûts reste inchangée.
Ce qui paraissait impossible avant la crise - par manque de temps ou par la force des habitudes - est réalisable aujourd’hui : procéder au re-engineering du concept et des méthodes, autrement dit tout remettre à plat :
- le concept :
- simplifier, épurer l’offre, réduire le nombre de denrées en stock et le nombre de fournisseurs. Étudier l’effet sur le coût matières d’une augmentation de la part des produits semi-élaborés ou élaborés par l’industrie agro-alimentaire pour réduire les effectifs ;
- choisir de pérenniser ou pas une offre de vente à emporter ;
- l'organisation du travail : en cuisine et en salle, du fait de la simplification de l’offre ;
- le management : les équipes doivent être pleinement impliquées dans la redéfinition du concept et des méthodes de travail.
Comme évoqué plus haut, il est peu probable que le personnel qui a quitté la profession ces derniers mois puisse être remplacé par du personnel aussi qualifié. L’intégration de nouveaux profils non issus de la restauration et peu formés obligera aussi à une évolution des concepts.
Le secteur a démontré pendant la crise ses capacités d’adaptation, notamment en concevant une offre adaptée aux contraintes imposées par la situation sanitaire. Il continuera d’évoluer en s’adaptant à cette situation de pénurie de main d’œuvre. La réalité sera probablement un mix des trois scenarii évoqués mais je reste persuadé que la réflexion sur le concept, l’organisation du travail qui en découle et le management est la piste la plus prometteuse.
Publié par Jean-Claude OULÉ