La société Zoé exploite un restaurant traditionnel à Paris. Mlle David a été embauchée, par contrat à durée indéterminée, en qualité de serveuse en décembre 1998. La salariée a donné entière satisfaction à son employeur jusqu'en 2009, date à laquelle ses relations de travail avec la société se sont alors détériorées.
Le 21 septembre 2010 puis le 6 décembre 2010, Mlle David a été mise en arrêt de travail par un médecin pour "état anxieux et dépressif du à son travail". Par ailleurs, en décembre 2010, Mlle David a déposé deux mains courantes au commissariat de police faisant état de menaces, d'insultes et de violences émanant de son employeur et de ses collègues de travail.
Le 29 janvier 2011 puis le 12 juin 2011, Mlle David a reçu deux avertissements pour avoir refusé de servir des clients en terrasse, avertissements qu'elle a contestés par écrit. Fin juin 2011, Mlle David a de nouveau été mise en arrêt maladie pour une semaine, en raison de son état "d'anxiété importante due à son travail".
Elle a également déposé une nouvelle main courante expliquant avoir été victime de menaces et d'humiliations de la part de son responsable de salle, M. Emmanuel. Suite à ces évènements, la société Zoé a convoqué Mlle David à un entretien en vue d'un licenciement et l'a effectivement licenciée pour faute grave, estimant que cette dernière refusait d'appliquer les consignes de son supérieur et qu'elle avait notamment refusé de se charger de la terrasse par mauvais temps.
La salariée conteste son licenciement devant les prud'hommes
Mlle David a alors saisi le conseil de prud'hommes de Paris afin de contester le bien-fondé de son licenciement. Elle sollicitait à ce titre, outre son préavis et son indemnité de licenciement, un an de salaire à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Devant les juges, Mlle David a expliqué qu'elle avait subi, à de nombreuses reprises, des menaces et des humiliations de la part de son responsable de salle, M. Emmanuel. Elle a expliqué que le comportement de son supérieur a conduit à une dégradation importante de son état de santé. Elle a contesté avoir refusé de servir en terrasse tout en expliquant que son employeur lui confiait la terrasse uniquement les jours de mauvais temps.
La société, à qui incombait la charge de la faute grave, a justifié les griefs figurant dans la lettre de rupture en expliquant que Mlle David avait, à de nombreuses reprises et en dépit des avertissements qui lui avaient été adressés, refusé de servir en terrasse. La société Zoé a également expliqué aux juges que Mlle David se serait violemment disputée avec son responsable à ce sujet, provoquant une altercation devant des clients qui ont témoigné par écrit en décrivant la scène à laquelle ils avaient assisté.
Des faits insuffisamment graves au vu de l'ancienneté de la salariée
Malgré les pièces versées aux débats par l'employeur, le conseil de prud'hommes a estimé que la faute grave n'était pas suffisamment établie compte tenu de l'insuffisance des pièces produites par l'employeur. Le conseil, en se référant également à la grande ancienneté de Mlle David, a requalifié le licenciement pour faute grave en un licenciement pour cause réelle et sérieuse.
Le conseil a ainsi condamné la société Zoé à payer à son ancienne salariée son préavis, son indemnité de licenciement et 800 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile pour le remboursement d'une partie de ses frais d'avocat. La salariée n'a donc pas obtenu les dommages et intérêts qu'elle sollicitait.
Comment apprécier la gravité de la faute
Selon la jurisprudence, la faute grave n'est caractérisée que par un fait ou un ensemble de faits imputables au salarié qui constitue une violation des obligations découlant du contrat de travail ou des relations de travail d'une importance telle qu'elle rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise pendant la durée du préavis.
Il convient de préciser que le refus, pour un salarié, d'accomplir une tâche relevant de son contrat de travail est un motif de licenciement pour faute grave (cour cass., ch. soc, 1er décembre 1982, n° 80 - 41.593), de même que les actes d'indiscipline réitérés et délibérés (cour cass., ch. soc., 8 juin 1979, n° 78 - 40.757).
En revanche, la simple altercation avec l'employeur, si elle est une cause réelle et sérieuse de licenciement, ne justifie pas nécessairement un licenciement pour faute grave (cour cass., ch. soc., 24 octobre 1991, n° 90 - 41.856).
De même, la cour de cassation ne retient pas la faute grave lorsqu'il s'agit d'un acte isolé ou lorsque les faits n'ont pas été établis avec certitude, le doute bénéficiant alors au salarié (cour cass. 17 novembre 2010 N° 09-41399 et 29 juin 2011 N° 09/08934).
La principale difficulté pour l'employeur est de prouver la réalité et la gravité des faits reprochés à la salariée (refus de servir en terrasse de Mlle David et insultes contre ses responsables). Il est donc conseillé à l'employeur de se procurer, avant d'initier la procédure de rupture, des témoignages d'autres salariés, et le cas échéant de clients (ce qui est apprécié par les juges car ces derniers ne sont pas sous la subordination de l'employeur donc ils apparaissent souvent plus impartiaux que les salariés en poste).
Il est indispensable pour l'employeur - avant d'aller jusqu'au licenciement - de décider, au vu des faits reprochés et de la situation du salarié dans l'entreprise (fonction, ancienneté, dossier disciplinaire), quelle est la sanction la plus adaptée. Il convient toujours en effet de respecter un principe de proportionnalité entre la gravité de la sanction et la faute.
Publié par Juliette Pappo (avocat au barreau de Paris)