Laurent Lapaire : "Le service en salle, c'est aussi un travail de séduction"

Il est resté sept ans chez Drouant aux côtés de Yannick Alléno, a décroché la Coupe Georges Baptiste en 1995, et dirigé la salle de l'Arpège, aux côtés d'Alain Passard : le curriculum vitae de Laurent Lapaire allonge les références prestigieuses. Un parcours qui l'a poussé à créer en 2008, l'Agapé (Paris, XVIIe) puis l'Agapé Bis (Paris, XVIIe) en juin 2010 et, en juillet 2011, l'Agapé Substance. Ce passionné méticuleux livre sa vision exigeante du métier.

Publié le 11 janvier 2012 à 12:53
L'Hôtellerie Restauration : Quelle est votre vision du service en salle ?
Il est important de créer un service proche du client pour apporter une atmosphère de convivialité. Le contact direct et le côté chaleureux, c'est ce qu'il aime ! Quand j'étais chez Drouant, j'avais mis en place - notamment avec Arnaud Tachi - un service synchronisé, pour dépoussiérer le service d'antan et casser les codes de la gastronomie : par exemple, en servant les plats de tous les convives d'une table en même temps, sans utiliser les cloches. Une personne en salle, cela ne se résume pas à porter un smoking avec un noeud papillon et réciter un plat. Il y a des tas de petites attentions qui font la plus-value de notre métier : le service d'une sauce à l'anglaise, la préparation des plats au guéridon… Pour ma part, je suis un passionné de cigares et de fromages : on doit pouvoir faire partager et mettre en avant ses connaissances à la clientèle.

Vous êtes aujourd'hui à la tête de 3 établissements sur Paris. Retrouve-t-on le même service dans chacun d'entre eux ?
De par mes expériences au sein de divers établissements, et au fil de mes voyages, je me suis fait ma propre opinion du service en salle. La création de mon premier établissement, l'Agapé, en mars 2008 était un projet mûrement réfléchi. Avec 35 places assises, le service y est gastronomique [1 étoile Michelin depuis 2009, NDLR] avec des préparations en salle. Nous y réalisons un service synchronisé, ce qui me tient à coeur. Le plus difficile est de rencontrer des passionnés, des gens qui vont nous suivre et qui aiment vraiment ce qu'ils font. Douze personnes travaillent dans cet établissement, 6 en cuisine et 6 en salle, pilotées par Shawn Joyeux. En juin 2010, l'Agapé Bis [ancien bistrot de Guy Savoy, NDLR] a ouvert ses portes sous les commandes d'Olivier Le Franc, mon associé et ami d'enfance avec qui j'ai créé l'Agapé. Ouvert sept jours sur sept, l'établissement est un bistrot haut de gamme de 60 couverts. Bien entendu, tout le service se fait à l'assiette et l'ambiance est décontractée, détendue.  

Puis, ce fut le tour de l'Agapé Substance en juillet 2011. Cette troisième ouverture n'a rien à voir avec les autres, puisque on y retrouve uniquement une longue table d'hôtes de 20 couverts. Le crédo : la convivialité.

Justement, l'Agapé Substance sort de l'ordinaire : une longue table d'hôte fait aussi office de passe. Pourquoi avoir choisi de casser les barrières entre la salle et la cuisine ?
C'était un souhait. D'abord, le local, tout en longueur, ne fait que 38 m2. Cela restreint l'espace. L'idée était de faire un 'labo', une table d'hôte de 14 mètres de long - 9 mètres pour les clients et 5 mètres pour la cuisine. Je voulais mettre en avant la convivialité, et que le client se sente bien. Il fallait casser cette cloison avec la cuisine. Pourquoi les cacher ? Mettre en scène le travail de la cuisine, c'est aussi mettre en avant le travail de la salle. C'est fini, cette guerre entre nos 2 métiers : l'un sans l'autre, on n'est rien ! Le cuisinier peut emmener l'assiette au client, lui donner des explications. Cette proximité favorise l'échange. Et c'est aussi ce qu'aime le client. De plus, mon souhait était que le personnel de salle et la cuisine (dirigée par David Toutain), portent la même tenue. Comme ça, on est tous à égalité !

Il y a eu un gros travail de recherche sur la décoration, les arts de la table. Pouvez-vous nous en dire plus ?
En effet, rien n'a été laissé au hasard. Avec 38 m2, on ne pouvait pas se le permettre. Tout a été fait sur mesure afin d'optimiser l'espace : la console et les couverts - disponibles uniquement en Allemagne - ont une taille bien définie. Les couteaux sont en genévrier, le bois du cuisinier. Côté décoration, la lumière est tamisée et vient d'un néon placé au-dessus de la table d'hôte - réglable au fil du repas - pour mettre en avant le produit. Il y a des miroirs - volontairement fumés - partout : sur les murs, et au plafond. C'est comme un grand rétroviseur : cela permet à la salle de voir si les plats sont prêts, au cuisinier de regarder si les convives sont débarrassés, et au client de jeter un oeil sur la préparation de son assiette.

La carte que vous donnez au client est également atypique : seuls 12 produits y sont indiqués. Quel est le rôle de la salle ?
Pour commencer, le nom de l'établissement, Agapé Substance, a une signification : 'amour du partage sans attendre de retour' pour Agapé, et 'la matière' pour Substance. Le principe : on donne une liste non-exhaustive - avec 12 produits - des substances que le client va retrouver au fil de son repas. Puis on lui demande s'il a des allergies, contre-indications, etc. À partir de là, c'est parti ! Le travail de la salle est pointu car on doit pouvoir cerner le client sur ses attentes. Ensuite, c'est un festival : le client part dans l'inconnu et peut goûter de 8 plats à 16 plats le midi ; le soir, c'est 'no limit'. Chaque prestation est personnalisée. En salle, on aime susciter la jalousie - nous ne servons pas les mêmes plats d'un client à l'autre alors qu'ils sont côte à côte. Cela les intrigue. Ce procédé nous permet d'échanger avec eux et de les amener à une réflexion. Le service en salle, c'est aussi un travail de séduction : on joue avec eux. Par exemple, on sert les vins dans des verres noirs. Les clients découvrent et accrochent plutôt bien à ce jeu.

Théâtralisation : est-ce un mot qui vous parle ? Pensez-vous que ce concept est lié à celui du service en salle ?
Oui, à 200 %. Après vingt-cinq ans de métier, on arrive à percevoir plus facilement ce qu'attend ou recherche un client dès qu'il franchit les portes d'un établissement. On doit susciter leur envie, les orienter. C'est comme un jeu de rôle : quelque part, nous créons un scénario qui change et s'adapte en fonction de la personnalité du convive. S'il est stressé, nous devons pouvoir le mettre à l'aise. Si un autre vient pour découvrir, on doit pouvoir le renseigner. La façon de servir diffère d'un service à l'autre. Comme dans un spectacle, on doit séduire son public.

Diriez-vous que vous exercez un métier épanouissant ?
Oui, bien sûr. Je dirai même que c'est avant tout une passion que l'on doit pouvoir transmettre à sa clientèle ! Ces contacts et les retours qu'ils nous font, cela n'a pas de prix. Les gens ont besoin de se raconter, d'échanger, de partager des expériences : c'est ce qui fait la richesse de notre métier.

Un conseil que vous pourriez donner à un jeune qui débute ?
C'est un métier difficile, mais qui vaut la peine d'être vécu. Les premières années sont essentielles ! Il faut donner son maximum et s'accrocher. On voit tout de suite si l'on est passionné : si ce n'est pas le cas, cela ne sert à rien de persister. On doit pouvoir être habité par ce que l'on fait, aimer transmettre, et le plus important, avoir envie de faire plaisir…

Publié par Propos recueillis par Hélène Binet



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