Le droit alimentaire fait débat

Pour la parution du Traité pratique de droit alimentaire, un séminaire animé par le physico-chimiste Hervé This a réuni professionnels du droit et scientifiques spécialistes de l'alimentation sur le thème : 'la science et le droit protègent-ils le consommateur ?'

Publié le 30 octobre 2013 à 10:59

Le Traité pratique de droit alimentaire s'adresse à un public averti en charge de la surveillance et de la qualité agroalimentaire : professionnels du droit, responsables juridiques ou qualité des entreprises agroalimentaires, mais aussi ingénieurs et chercheurs du secteur alimentaire, fonctionnaire en charge de la réglementation ainsi qu'à tout professionnel spécialisé. Pour la publication de ce traité, une conférence réunissant spécialistes du droit et de l'alimentation a été organisée à l'école d'ingénieurs AgroParisTech, à Paris (Ve). "Nous pensons que cet ouvrage correspond à un réel besoin. Le secteur agroalimentaire dans son ensemble est le premier secteur économique en France et il génère beaucoup de conflits de droit et de recherche", a rappelé Jean-Louis Multon, l'un des trois coordonnateurs de ce traité, président de la Société scientifique d'hygiène alimentaire (SSHA), directeur de recherches honoraire de l'Institut national de la recherche agronomique (Inra), expert honoraire près de la cour d'appel de Paris et expert honoraire agrée par la Cour de cassation. "En tant qu'expert, j'ai eu maintes fois l'occasion de constater le manque d'informations et le désarroi des personnes appartenant au secteur agroalimentaire - et plus particulièrement pour les PME - lorsque leur entreprise est confrontée à des problèmes judiciaires, à la suite d'un sinistre, d'une plainte de consommateur ou d'un conflit avec un fournisseur. Si les procédures réglementaires sont faciles à trouver sur internet, en revanche ces textes sont arides pour ceux qui ne sont pas juristes de formation et, surtout, le lecteur en perçoit mal les fondements, les tenants et aboutissants."

Il manquait donc, selon l'expert, un ouvrage expliquant la philosophie du droit alimentaire dans ses relations avec la science (chimie, physique, biologie, etc.) en montrant d'une part le rôle de la connaissance scientifique dans la conception et l'élaboration du droit et d'autre part l'influence du droit sur le développement et l'application de la science et de la technologie. Le Traité pratique est le fruit d'un travail collectif et pluridisciplinaire réunissant les contributions de 51 spécialistes : avocat, ingénieur, professeur de droit, médecin, vétérinaire, représentant de l'administration…

Outre Jean-Louis Multon, deux autres personnes ont été chargées de coordonner et d'harmoniser les chapitres sur le fond et la forme : Henri Temple, professeur de droit économique, avocat au barreau de Montpellier, expert international, cofondateur et directeur du Centre du droit de la consommation et du master concurrence et consommation à l'université de Montpellier, président du centre international de droit économique, et Jean-Luc Viruéga, docteur ingénieur INPG en génie industriel, expert en traçabilité, traçabiliticien et expert de justice près de la cour d'appel de Montpellier.

 

Quand le droit s'invite dans la conception des produits

Plusieurs intervenants ont débattu sur le thème : la science et le droit protègent-ils le consommateur ? Henri Temple a abordé la prévention des crises de consommation par l'adaptation de la gestion de l'entreprise aux nouveaux principes juridiques, notamment à une obligation générale d'information, de sécurité, de conformité et de responsabilité auxquelles se sont greffées de nouvelles règles telle que le principe de précaution, l'analyse des risques, la traçabilité, l'HACCP (normes d'hygiène), la prévention des crises, le retrait et le rappel. La législation a des effets structurants sur l'organisation des entreprises. Le droit s'invite désormais dans la conception des lieux de productions comme des produits. Ceci afin d'éviter des crises alimentaires.

Hervé This, professeur consultant à AgroParisTech, physico-chimiste à l'Inra et responsable du groupe de gastronomie moléculaire, a évoqué l'adaptation nécessaire du droit et de la science aux nouvelles formes de cuisine. L'avenir de l'alimentation, c'est la cuisine note à note, a déclaré Hervé This, la cuisine moléculaire est "un truc de vieux qui est dépassé", a-t-il lancé, un brin provocateur. Les aliments utilisés en cuisine sont constitués d'un mélange de composés purs. Par exemple, les champignons des bois possèdent un goût, mais aussi une odeur provoquée par un seul composé : le 1-octène-3-ol. L'idée de la cuisine note à note, c'est de tout construire un produit par des mélanges de composés : les odeurs, les saveurs, les consistances. Grâce à cette technique, il est possible de concentrer les composés. Mais la réglementation devra prendre en compte ces innovations. Le scientifique s'est interrogé sur le fait qu'il ne soit pas obligatoire d'avoir un diplôme pour ouvrir un restaurant alors que cela est nécessaire pour ouvrir un salon de coiffure. Pour le scientifique, le monde technique de l'alimentaire a des raisons d'en vouloir au monde du droit. En raison de jurisprudences absurdes, on en arrive selon lui à pouvoir vendre au restaurant du 'coq au vin' sans coq ni vin. Il a également déploré la confusion faite par le consommateur entre la date limite d'utilisation optimale (DLUO) et la date limite de consommation (DLC), la confusion étant entretenue par les industriels qui mentionnent des DLUO qui n'ont pas lieu d'être sur certains produits comme le sel ou la farine.

 

La traçabilité dans le cadre d'une crise alimentaire

Jean-Luc Viruéga est par la suite revenu sur la crise de la viande de cheval dans des plats préparés sensément à partir de boeuf. Il a précisé que la présence de la viande de cheval dans des plats préparés ne constituait pas un problème sanitaire mais de fraude. Il s'est étonné que les obligations en matière de traçabilité soient toujours perçus par les professionnels comme contraignantes, bloquantes voire anticoncurrentielles. Pour lui, elles constituent un élément déterminant pour assurer la conformité du produit et sont une source d'information permettant au professionnel mis en cause de se défendre au mieux face à ses fournisseurs et ses clients mais aussi de faire valoir ses droits.

Agnès Ricroch, maître de conférences en génétique évolutive et amélioration des plantes à AgroParisTech, a rappelé qu'un règlement de 1997 impose l'étiquetage des organismes génétiquement modifiés (OGM) qu'ils aient servis à nourrir des animaux proposés à la consommation ou qu'ils entrent dans la composition des aliments. Un produit alimentaire ne pourra être déclaré sans OGM que s'il contient moins d'un certain pourcentage d'ADN transgénique. Le seuil diffère selon les pays : 0,9 % en France, 1 % en Australie, 5 % au Brésil... Pour la généticienne, il serait mieux d'indiquer 'sans mycotoxine' ou 'sans pesticide' plutôt que 'sans OGM', puisque les critères diffèrent selon la nature des produits.

L'avocate Valérie Fourgoux-Jeannin a quant à elle qualifié l'étiquetage des produits alimentaires de vendeur silencieux. De nouvelles mentions obligatoires doivent figurer sur les produits, notamment relatives aux ingrédients qui peuvent entraîner des allergies, et sur les caractéristiques nutritionnelles. Elle a déploré le caractère déloyal de certaines informations justifiant de faire payer le produit plus cher au consommateur et sans réelle valeur, comme le fait de mentionner 'sans OGM' sur du sel.


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Publié par Pascale CARBILLET



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