Michel Sarran : Pour moi, c'est un moyen d'expression. Quand on dit communément : "Vous faites un métier de passionné", je dis non. J'ai déjà vécu une passion amoureuse et c'est dévastateur ! Ce n'est pas rationnel du tout. La cuisine, c'est tout le contraire. C'est réfléchi. La passion, ce n'est pas le rapport que j'ai avec la cuisine et je n'en veux pas. La cuisine, c'est mon moyen d'expression et mon métier. Je n'ai pas honte de le dire. Je suis fier d'être cuisinier et ce métier me le rend bien. Il m'a offert une vie que je n'aurais jamais imaginée quand j'étais enfant, dans mon petit village du Gers. Faire un métier qui nous plaît et dans lequel on s'épanouit, c'est déjà énorme. C'est 85 % de mon temps. La cuisine, ce n'est pas mon loisir. Je fais du sport automobile, de l'aviation… ce sont des exutoires. J'aime l'adrénaline et me lancer des défis.
La création est un processus qui opère dans la souffrance ? Dans la spontanéité ?
Je dessine sur des cahiers. Le point de départ, ce sont des produits qui arrivent en fin de production et qu'il faut que je remplace. Je commence à penser, à dessiner. Mais il y a des moments où je n'arrive pas à faire le vide. Or, il faut que je trouve de la sérénité pour penser aux produits et à la cuisine. Les jours où je sèche complètement, cela devient douloureux. D'autres fois, je pense à une recette et ça marche tout de suite. Parfois, la créativité peut surgir de l'urgence voire de la souffrance. Ce qui est terrible, c'est quand ça ronronne et que rien ne se passe. Heureusement, cela ne m'arrive pas souvent. Rien ne me fait plus plaisir que quand un plat est réussi. Cela ne dure que trois minutes parce qu'après, je suis à nouveau dans le doute. Mais pendant ces trois minutes, je suis content. Ce qui m'importe, c'est que le plat raconte mon histoire, ma personnalité.
Votre plat best-seller ?
Le foie gras de canard de la Ferme de la cave en soupe tiède à l'huître Belon, que j'ai customisé avec une tartine de foie gras grillé. C'est la rencontre entre la rondeur paysanne et l'exubérance méditerranéenne. C'est à la fois un hommage à ma mère et un plat qui raconte mon histoire avec Alain Ducasse, car c'est le point de départ de ma vie de cuisinier. Ce plat plaît toujours.
Le plat de votre carte que vous préférez ?
Difficile de choisir entre une histoire et une autre. Peut-être le dernier plat que j'ai créé. Je l'ai appelé Le Gers : foie gras aux raisins, confit de canard en fricassée safranée, purée légère à l'huile d'argan, magret tataki à la vieille mimolette.
Vous êtes aussi un chef d'entreprise avec des activités annexes au restaurant étoilé. Comment tout cela cohabite-t-il ?
Paul Bocuse a montré que l'on pouvait exercer le métier de cuisinier de plusieurs façons. Il nous a fait sortir des cuisines et aller bien au-delà. Il nous a fait comprendre que l'on pouvait vivre de son métier de façon décomplexée, en faisant par exemple de la publicité. J'ai vu les limites d'une maison comme la nôtre, 50 couverts avec 30 employés. Depuis vingt ans, je n'ai jamais eu de bilan négatif. Mais il n'y a pas de marge de sécurité : s'il arrive une catastrophe demain, je peux couler en quelques mois. Or, j'ai envie de sérénité. Le restaurant seul ne le permet pas. Donc très vite, j'ai accepté de devenir consultant pour Elior avec Airbus. Cela a été mon premier grand virage professionnel. Vendre son savoir-faire, c'est autre chose que de vivre de son savoir-faire au quotidien dans sa cuisine. Grâce à cela, j'ai pu faire évoluer le restaurant, réaliser des travaux régulièrement… J'ai eu la chance de travailler pendant deux ans avec Michel Guérard, un homme qui est un vrai modèle, un mentor. Pour lui, j'ai travaillé avec une marque de surgelés et il a fait progresser ce secteur de façon formidable grâce à son exigence. Je ne me compare pas à lui, loin s'en faut, mais si je peux améliorer les choses un petit peu…
Quels bénéfices tirez-vous de votre médiatisation ?
J'ai eu la chance d'être médiatisé au travers d'une émission avec laquelle je partage beaucoup de valeurs. Top Chef est un concours professionnel dans lequel les candidats s'investissent énormément. Le tournage dure sept semaines. Il demande beaucoup de travail, de rigueur et il y a beaucoup de respect entre nous. Je m'y sens bien. Cela a bouleversé ma vie ! C'est un tsunami inimaginable. J'ai un retour très positif, très gentil de la part des gens. Ce qui est sûr, c'est que jamais je n'aurais pu me payer une campagne de publicité pour avoir un tel effet. Cette médiatisation est un accélérateur pour les affaires, que ce soit en termes de réservations ou de propositions.
Quel repas récent vous a époustouflé ?
Pierre Gagnaire m'a bouleversé. Quand j'ai commencé la cuisine, c'était déjà un modèle. Pendant le dernier tournage, je suis retourné chez lui. Ce fut grandiose. Un très grand repas.
Avez-vous un produit, une tendance, une cuisine au coeur de votre réflexion en ce moment ?
Je ne réfléchis pas comme ça. Ma cuisine raconte ma culture. Je suis un vrai relais pour mes petits producteurs. L'agriculture française est malmenée et nos paysans vivent dans des conditions inacceptables. Je suis fils de paysan et quand j'entends que certains vivent avec 600 € par mois, ça me révolte. Je suis un peu atterré quand je vois la graine de chia ou le quinoa que l'on retrouve partout aujourd'hui. Je suis un peu sceptique. Les produits à la mode, ce n'est pas mon truc. Je suis respectueux de tout, mais cela devient compliqué pour les chefs quand, dans la même soirée, il y a un client vegan, un végétarien, un autre qui mange sans gluten… Cela devient difficile de satisfaire tout le monde, mais on s'adapte. Je ne dis pas non aux spécificités alimentaires, mais je ne veux pas qu'elles m'imposent la carte. Je n'ai rien de prévu, je fais à la minute. Ce qui m'inspire en ce moment : l'arrivée du printemps, la plus belle des saisons pour moi.
Un rêve à réaliser ?
J'ai beaucoup de rêves et j'espère que j'en aurai longtemps. Chez moi, ce sont surtout des rêves d'aventure. Un jour, j'ai eu la chance de faire un film pour la promotion de Toulouse avec le réalisateur de Voyage en terre inconnue, Franck Desplanques. Il m'a demandé si ça me plairait de faire l'émission. J'adorerais partir à la rencontre d'une autre civilisation, d'habitudes alimentaires différentes, d'autres produits. C'est ce qui nourrit ma réflexion culinaire.
Michel Sarran TopChef #Toulouse#
Publié par Nadine LEMOINE