Réussite : Le virage ultra local de Laurent Petit

Laurent Petit n'a plus rien à prouver. Parti de rien, le chef haut-savoyard veut juste retenir de son parcours un BEP et une chance énorme. Celle, à 20 ans, d'être remarqué par le journaliste Nicolas de Rabaudy, qui prend en main sa formation : un stage chez Michel Guérard où il découvre la grande cuisine, puis des formations chez dix chefs triple étoilés Michelin. "J'ai beaucoup observé, je n'ai pas appris, mais j'ai compris la cuisine." En 1992, à 29 ans, il ouvre avec son épouse, Martine, Le Clos des sens à Annecy-le-Vieux, puis ses quatre premières chambres en 2004. "Je me sentais loin du métier d'hôtelier pur et dur. Je suis un chef avant tout. Mais j'ai été influencé par Alain Ducasse, avec qui j'ai des liens d'amitié. Il martelait sans cesse qu'un étoilé ne pouvait pas vivre sans chambre. En 2006, nous avons supprimé un salon, diminué les mètres carrés de restauration, pour augmenter les mètres carrés d'hôtellerie." En parallèle, Laurent Petit crée trois cafés culinaires, dont deux sont Bib Gourmand. L'étape suivante est importante pour le couple : "Nous avons investi 3M€ en 2011. Cela nous a permis d'ajouter 500 m² de surface et 5 chambres. Nous avions atteint un pic."

"La cinquantaine, ça a du bon, estime le chef. Surtout quand l'âge transforme les idées en certitudes." À la tête d'un petit empire Laurent Petit aurait pu laisser filer sereinement jusqu'à la fin de sa carrière. "Je me suis dit que j'allais le regretter. La première étoile Michelin, on se cherche. La deuxième étoile, on travaille le sujet avec précision et régularité. Il était temps d'aller plus loin. J'ai mis en place une démarche créative, qui était au fond de moi, en espérant un jour atteindre la quintessence, aller au bout du rêve." Le mot est lâché : la troisième étoile. Alors, ce printemps, Laurent Petit a fait la révolution en cuisine. "Depuis vingt-trois ans, je propose un menu découverte qui fait 70 % de mes ventes. J'ai retenu l'idée. Le client se laisse guider, voire emporter sur un sentier de découvertes culinaires dont la réflexion a été menée par le cuisinier." La nouvelle carte compte trois menus, sans explication, et une déclinaison de produits : 'insensé et avisé' pour les amateurs, 'touché conforté' pour l'émotion, et 'premières sensibilités' pour la découverte et l'initiation. L'idée : "Laissez-vous cueillir. Je vais vous emmener dans mon monde végétal et lacustre", explique le chef. Jean Baptiste Klein, le jeune sommelier, joue avec brio sur le même registre de la surprise.

"Il n'y pas la mer en Haute-Savoie"

Foie gras, homard, bar... n'ont plus leur place dans la nouvelle carte. Désormais, Laurent Petit travaille uniquement les produits de sa région. "Je suis plus radical, je n'arrondis plus les angles. Fini le poisson de mer ! Il n'y pas la mer en Haute-Savoie. Tout doit être local." Le credo est appliqué à la lettre. "Cela oblige à aller plus loin, plus en profondeur." La différence dans l'assiette est inimaginable, une vraie mutation, une explosion de saveurs. Le vrai pari de cette profession de foi : le côté jusqu'au-boutiste, un vrai jeu de texture, une interprétation du produit que le client connaît et qui le surprend. Le pari est gagné, puisque le Clos des sens affiche complet à tous les services. La rencontre est réussie aussi, avec la clientèle locale, qui plébiscite ce positionnement. Enfin, encore une nouveauté, Laurent Petit, celui qui ne sortait pas ou peu de sa cuisine, est aujourd'hui souvent en salle. "Pendant des années, je me suis demandé pourquoi les clients voulaient me voir. C'est insupportable pour le client et pour le chef." Aujourd'hui, il apporte au moins une assiette à chaque table. "Je raconte l'histoire du produit. C'est la clé d'une vraie rencontre. Je ne rate aucune table." Laurent Petit, visiblement heureux et libéré, se fait plaisir en cuisine et laisse parler sa créativité. "Je suis un cuisinier avant toute chose et c'est un immense bonheur."