Servair monte en gamme avec Air France

Le confort des sièges n'est pas le seul atout d'une compagnie aérienne. Pour Air France, il faut jouer la carte de la gastronomie française avec le concours de chefs reconnus.

Publié le 02 mai 2014 à 12:45
Sur les vols longs-courriers, à chaque classe son repas. Servair, filiale d'Air France, avait déjà engagé un travail de fond avec la création en 2009 du Studio culinaire Servair qui réunit Joël Robuchon, Guy Martin, Jacques Le Divellec ainsi que Bruno Goussault, l'expert de la cuisine sous-vide. C'est la classe Première qui bénéficiait ainsi de repas sophistiqués et dressés dans l'avion avec des produits le plus souvent de luxe. Il y a en général une petite dizaine de places en Première dans l'avion. Puis, Servair s'est attaqué à la classe Business. Cette fois, il faut compter jusqu'à 80 places dans un A380. Les assiettes arrivent dressées et le personnel navigant assure le service. En termes de coûts matière, il faut revoir ses prétentions à la baisse, tout en visant une qualité supérieure. C'est le défi que Servair et Air France ont proposé comme Michel Roth, Thibaut Ruggeri (Bocuse d'or 2013) et bientôt Anne-Sophie Pic. Mais le premier 3 étoiles à se frotter à l'exercice, c'est Régis Marcon qui, après un an de travail avec les équipes de Servair, vient de participer à un vol test pour goûter ses plats en altitude et vérifier le rendu après réchauffage en cabine pressurisée.

Eric Augustine, directeur de la cuisine Recherche & Développement Servair où sont développées et mises au point les recettes, est le premier contact des chefs. Cet ancien de Ferrandi à Paris, qui cumule une formation de cuisinier et de pâtissier, totalise plus de 35 ans d'expérience chez Servair. Les contraintes et les spécificités du métier n'ont aucun secret pour lui. Il lui revient de les enseigner aux chefs. «Nous sommes dans un processus de restauration différée. Les plats sont préparés et cuits dans nos unités de production. La cuisson sous-vide concerne surtout les protéines, poissons et viandes dont elle conserve ainsi le moelleux, et ne représente que 20% des plats. Les assiettes sont dressées et refroidies en dessous de 10 degrés en moins de 3 heures. Elles sont ensuite transférées en liaison froide sur les avions. Le réchauffage des assiettes est réalisé dans des fours (12 à 14 plats en même temps) à 150 degrés pendant 15 minutes », explique Eric Augustine.

Une fois pris en compte ce paramètre qui influe sur le choix des produits, les chefs doivent aussi se conformer aux obligations liées à la sécurité en avion : pas d'os, pas d'arêtes, pas de protéines crues, pas de produits type haricots/choux/brocolis pour des questions de digestion et par la même occasion, on évite ceux qui exhalent de fortes odeurs pour le confort des passagers. Le porc est aussi déconseillé puisqu'il ne convient pas à tous les clients comme les produits à base d'alcool. « Dans le respect de ces recommandations, les chefs nous proposent 3 recettes de viande, 3 volailles et 2 pour le poisson. Nous devons ensuite chiffrer les coûts, vérifier leur faisabilité opérationnelle et procéder à des analyses bactériologiques (dont l'étude de vieillissement), indique Eric Augustine. Lorsque tout est validé, nous pouvons présenter les plats à la compagnie aérienne, notre client. Les recettes acceptées sont reproduites par les chefs Servair et testées au sol avec le chef. Il y a toujours aussi un vol test afin de voir comment le produit réagit dans les conditions réelles et pour recueillir les avis des passagers ».

 

Régis Marcon en Business

 

 « Nous, les cuisiniers, nous sommes tous des hommes de défi. J'ai eu la chance de travailler sur des bateaux de croisière avec le mal de mer, mais aussi dans les trains avec l'Orient-Express. Aussi, lorsque Air France a fait appel à moi, j'ai eu envie de tenter l'aventure. Je peux dire aujourd'hui que les contraintes du catering aérien ont été une source de motivation afin d'améliorer, de découvrir et d'innover encore », dit Régis Marcon, le chef 3 étoiles de Saint-Bonnet-le-Froid dont les plats sont désormais à la carte de la classe Business d'Air France pour au moins 6 mois. Au menu : Ragoût de lentilles vertes du Puy aux crevettes et encornets, Poulet fermier aux morilles, Epaule d'agneau braisée aux figues, polenta croustillante aux olives et un plat végétarien, Symphonie de légumes de saison sur une base de quinoa, endives, fenouil, carotte, tomate confite, oignon grelot et pois gourmands avec un trait d'orange.

« C'est un an de travail dont je vois aujourd'hui l'aboutissement. La grosse contrainte, c'est le réchauffage, témoigne Régis Marcon. Par exemple, il vaut mieux prendre les cuisses de volaille que les blancs, car elles sont moins denses, donc la viande reste plus tendre après réchauffage. Il faut donc choisir les bons produits. Il faut aussi penser aux couleurs dans l'assiette et les préserver à la cuisson. Les légumes à pigments verts sont cuits dans beaucoup d'eau, avec un grammage exact de sel et un peu de bicarbonate de soude qui permet une cuisson plus rapide. Quant aux légumes à pigments jaunes (céleri, artichaut…, ils ont tendance à noircir au contact de l'oxygène, alors on les cuit différemment, ce sera sous-vide pour conserver la couleur ».

Régis Marcon a commencé par se mettre à la place du client : ses besoins et ses désirs. Il veut des plats identifiables aux qualités organoleptiques préservées (goût, texture, visuel), du choix (y compris végétarien ou végétalien,), être rassasié (on privilégiera l'association féculent-légumineuses), avoir une bonne digestion, d'où une réflexion sur l'équilibre alimentaire, l'acidité, la quantité… « Tous les détails comptent. Il faut songer au côté pratique, souligne le chef. J'ai privilégié les pâtes papillon qui sont plus faciles à attraper. On évite aussi les légumes trop longs. Les assiettes à rebord sont indispensables d'autant que j'ai souhaité privilégier les sauces. Mais pour que les plats soient le plus digeste possible, il faut réfléchir au bon emploi des matières grasses et pour le goût : vinaigre, jus de citron, vin blanc, condiments et aromates afin de limiter les teneurs en sel ».

C'est donc un travail de longue haleine d'autant que la formation des personnels de production et navigants sont au coeur de la qualité de service. « J'ai rencontré les équipes de Servair qui préparent les plats et j'ai aussi envoyé un message aux membres d'équipage qui répondent aux questions des voyageurs. La formation est essentielle encore et toujours, dit le chef de Saint-Bonnet-le-Froid. Lors du vol test, je suis allé à la rencontre des clients, comme dans mon restaurant. J'ai écouté et c'est toujours enrichissant. A mon sens, il y a encore beaucoup de choses à inventer dans le domaine de la cuisine adaptée à l'aérien».

 

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Publié par Nadine LEMOINE



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