Femmes et gastronomie : une trop lente évolution

La présence des femmes est incontournable dans le métier, mais elles y sont encore largement minoritaires et parfois victimes d'un traitement inéquitable. Toutefois, une prise de conscience s'opère progressivement.

Publié le 27 décembre 2018 à 12:30


Rendons à César. C’est grâce à l’association Les Grandes Tables du monde - qui a souhaité amorcer le débat lors de son congrès annuel - que l’on dispose d’une enquête, commanditée avec S. Pellegrino, qui fournit quelques chiffres significatifs. L’étude La Place des femmes dans la gastronomie a été menée en septembre 2018 par l’Institut FM Research auprès des 174 membres et de 17 femmes de l’association Les Grandes Tables du Monde. Ce travail comprend des entretiens avec des femmes exerçant à tous les niveaux, dans des métiers et des pays différents.

Premier enseignement : les femmes sont ravies qu’on les interroge sur leur travail et elles ont des choses à dire. Mieux, elles veulent être entendues et reconnues pour leurs compétences, sans être traitées différemment des hommes. Pas question de les entraîner vers une guerre des sexes. Elles réclament uniquement de l’équité.

 

Les hommes embauchés en priorité

Le nombre de femmes dans la gastronomie ne cesse d’augmenter. Celles qui ont été interrogées pour l’enquête le reconnaissent et s’en réjouissent. Néanmoins, les hommes sont largement majoritaires. Dans les deux dernières années, les employeurs ont embauché 60 % d’hommes. Et quand on les interroge sur leurs intentions, ils sont 58 % à déclarer qu’ils recruteront autant de femmes que précédemment. On peut souligner une petite embellie avec 20 % des maisons sondées qui souhaitent recruter davantage de femmes dans les années à venir. Les difficultés de recrutement ne deviennent-elles pas finalement un atout pour les femmes ?

Toutefois, le recrutement cantonne les femmes dans les métiers de la salle. Les chiffres parlent d’eux-mêmes. En moyenne, on retrouve 8 femmes pour 12 hommes en salle, et seulement 3 femmes pour 14 hommes en cuisine. Si, en salle, les femmes ont réussi leur entrée, le mouvement reste très timide en cuisine.

Autre enseignement, qui n’est pas une révélation puisqu’il est partagé par tous les secteurs de l’économie, sauf exception quasi-anecdotique : les femmes accèdent moins facilement aux postes à haute responsabilité tels que chef de rang, chef de partie ou sous-chef. Quant à l’évolution des carrières des femmes, elle est nettement plus lente.

 

Écart de salaire en faveur des hommes : + 9,5 %

Il faut aussi évoquer la question salariale et l’équité : à fonction égale, salaire égal. Aborder cette question est toujours compliqué en France. Pour preuve, seuls 41 % des établissements contactés ont accepté d’y répondre. Grâce aux éléments recueillis, l’étude a permis de calculer un écart de salaire de 9,5 % en faveur des hommes. Et parce que la question salariale reste taboue, les femmes interrogées avouent n’avoir que peu d’informations à leur disposition pour leur permettre de savoir où elles se situent.

Autre vertu de l’étude commanditée par Les Grandes Tables du monde : mettre au grand jour la question de la maternité et de la compatibilité du métier avec la vie de famille. 60 % des employeurs estiment que la grossesse - et par voie de conséquence les changements que cela entraîne parfois - sont la contrainte principale en matière de progression de leurs collaboratrices. La maternité est clairement identifiée comme un frein dans leur carrière.

Les employeurs évoquent le rythme de travail et les longues heures, souvent jugées incompatibles avec la grossesse et la vie de famille. Pour Les Grandes Tables du Monde, ce constat pose clairement la question de la flexibilité du travail dans la profession. L’association souligne des avancées notables parmi ses membres : 74 % des employeurs ont mis en place des mesures permettant de la souplesse (temps partagé, congé parental…). Une question qui se pose néanmoins à l’ensemble de la profession face aux 125 000 postes à pourvoir.

 

Savoir s’imposer

Les entretiens nécessaires à cette étude ont confirmé un constat : “Les femmes qui travaillent dans cet environnement doivent se préparer à s’endurcir pour pouvoir évoluer. L’équilibre est donc subtil entre rester soi-même et adopter des attributs perçus comme virils pour être respectée. Elles savent qu’elles devront tout le temps démontrer qu’elles sont capables de faire la même chose que les hommes, voire même mieux. En tant que cadres, elles savent qu’elles se doivent d’être exemplaires.”

Aussi, les femmes interrogées ont toutes souligné l’importance des modèles positifs comme ceux d’Anne-Sophie Pic, Hélène Darroze, de Christelle Brua… La médiatisation de leur réussite est capitale. En tant que chefs ou chefs pâtissier, en tant que chef d’entreprise, en tant que professionnelles reconnues par leurs pairs, elles démontrent que même s’il faut se battre et que les places sont chères, il est possible de se faire une place et de la tenir. Les chefs hommes font rêver les jeunes, les chefs femmes aussi.

Si l’étude révèle aujourd’hui une certaine évolution des mentalités, elle démontre aussi à quel point le chemin à parcourir est encore long avant que les femmes occupent la juste place à laquelle elles ont droit dans ce secteur. Il y a des préjugés à combattre et des solutions à trouver, qui demandent l’implication de tous les acteurs et la mobilisation des hommes comme des femmes.

 

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Gwendal Poullennec, directeur international des guides Michelin : "Nous voulons communiquer sur celles qui ouvrent la voie"

 

L’Hôtellerie Restauration : Vous avez souligné que les inspecteurs avaient déniché de “nombreux cuisinières et cuisiniers” ? Avez-vous une volonté particulière de mettre en avant les femmes en cuisine ?

Gwendal Poullennec : “Nous reconnaissons qu’il y a de plus en plus de femmes dans les brigades, mais force est de constater qu’il y en a encore peu à la tête des restaurants. Michelin souhaite encourager tous les talents, quels que soient les profils, les types de cuisine pratiqués, le genre, les nationalités, etc. Il va de soi qu’il n’y a aucune étoile de complaisance et il n’y en aura jamais. Nous ne créerons en aucun cas un barème pour les femmes et il n’y aura pas traitement de faveur.

Nous cherchons de bonnes cuisinières, de bons cuisiniers avec la même méthode, la même bienveillance et la même exigence partout dans le monde. En revanche, nous avons un rôle à assumer pour permettre aux femmes de s’épanouir dans l’univers du restaurant, pour que ses métiers soient de plus en plus attractifs. L’ascension des femmes dans l’organigramme des cuisines est une opportunité pour la profession, autant qu’une richesse pour faire évoluer les pratiques managériales. Nous voulons communiquer sur celles qui ouvrent la voie.

Quand Michelin attribue une étoile à un restaurant ayant une femme à sa tête, nous souhaitons que cette cuisinière puisse être vue de sorte qu’elle devienne une source d’inspiration et de motivation pour ses paires. Récemment, plus de femmes ont pris des responsabilités en cuisine, seules ou aidées par des investisseurs qui ont crû en elles. La sélection 2019 en témoignera. À nous de rendre vraiment ces femmes encore plus visibles."

 

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Les Grandes tables du monde s’engagent autour de trois axes

  • L’égalité de traitement : faire figurer, dès la sortie du prochain guide, le nom des femmes évoluant à des postes décisionnaires au sein des maisons membres de l’association.
  • Une plus grande médiatisation des femmes lors des toutes prochaines prises de paroles, mais aussi et surtout leur intégration à toutes les actions et manifestations auxquelles Les Grandes Tables du monde participe.
  • Plus de flexibilité vis à vis des horaires de travail : réfléchir à de nouvelles formes d’organisation : roulement, congé parental, etc. pour créer un environnement de travail bienveillant.

 

#femmes# Gastronomie les grandes tables du monde Gwendal Poullennec

 


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Publié par Nadine LEMOINE



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