Qu’est-ce qui a motivé la création d’Omnivore ?
Dans le premier mensuel Omnivore, daté d’octobre 2003, à la une, nous avions « Jeune cuisine : ça commence aujourd’hui ». Omnivore répondait à une demande de créer une plateforme pour une jeunesse qui arrivait, pour aborder de nouveaux thèmes comme la terre, le rapport aux producteurs, l’environnement. Nous avons été les premiers à parler du vin nature. On a été les premiers à mettre dans nos colonnes des propos qui sont non conventionnels. J’avais la certitude à ce moment-là que c’était en train de bouger et de s’accélérer. Il y avait aussi eu un grand papier du New York Times qui disait que la France était finie et que l’Espagne la devançait. Omnivore, c’était une façon de montrer qu’en France, il se passait des choses fondamentales et qu’il y avait chez nous la même dynamique que dans l’ensemble du monde.
C’était comme si le patrimoine culinaire français se transformait en obstacle alors que c’est une richesse. Il a fallu du temps pour qu’on saisisse que ce patrimoine était fort pour l’export et qu’il pouvait coller à la modernité. On est d’ailleurs dans un retour à des goûts marqués, presque quelquefois à la lisière d’une cuisine bourgeoise sophistiquée. Cette base française est une référence technique utilisée par des dizaines de milliers de cuisiniers dans le monde entier pour accoucher de plats modernes. Cette technicité française, c’est notre culture.
Qu’est-ce que la jeune cuisine ?
La trame de la jeune cuisine, c’est ce mouvement perpétuel. La cuisine se transforme au quotidien en fonction des émotions du chef, de son ouverture d’esprit et dans un répertoire inventif et créatif permanent. On est portés par cette nouvelle génération qui met des coups aux fesses de l’ensemble de la profession. Ils sont à la télévision et ils ouvrent en même temps des restaurants. C’est génial !
Quelle est la contribution du festival Omnivore dans le paysage culinaire français ?
En 2006, c’est Michel bras qui a ouvert le premier festival. C’est pour moi, l’une des grandes références planétaires de la cuisine. Et en même temps, il y avait René Redzepi, Alexandre Gauthier, Nicolas Pourcheresse, Eric Guérin… On a toujours mélangé des gens installés, puissants avec des jeunes, des Français avec des internationaux. Je veux continuer à avoir cette mixité permanente, cette curiosité, l’ouverture, aller chercher des gens…
Sirha Omnivore a traversé ces deux décennies avec toujours les mêmes ambitions : rassembler, transmettre, casser les codes et les frontières, mettre en avant le bon, le brut, et tous ceux qui font de la cuisine d’aujourd’hui une expérience vraie.
Grâce à une multitude d’interventions, de conférences sur le Sirha Food Forum et à la scène CHEF.FE.S, nous interrogeons la réalité de la cuisine et son utilité dans la société. Omnivore est profondément ancré sur le sens de la cuisine. Cela a toujours été la préoccupation première d’Omnivore. Etre créatif non pas pour briller mais pour raconter quelque chose de puissant de son environnement, de son histoire, de son identité. C’est pour moi essentiel.
Qu’est-ce qui a changé en 20 ans ?
C’est ce qui a radicalement changé en 20 ans, c’est qu’il n’y a pas une minute, un journal, un site internet, un réseau social, où l’on ne retrouve pas le fait culinaire, le fait du produit, les chefs, les vignerons, les éleveurs. Tout ça est devenu de manière planétaire un sujet permanent. Omnivore en a été l’un des ferments. A l’époque, personne n’y croyait. On voyait la cuisine comme quelque chose de subalterne.
J’ai revu cet été à la télévision la première fois où j’ai interviewé pour Omnivore Cyril Lignac. C’était en 2006, il faisait Oui Chef sur M6 et il était raillé de tout le monde culinaire. Mais je pensais que ce fait médiatique allait bouleverser les choses. Cela a commencé par la télévision et des années après, avec les réseaux sociaux Facebook et Instagram.
Je me souviens qu’en 2005, j’étais tout seul à prendre des photos de plats dans un restaurant avec mon Nikon D80 pour le carnet de route Omnivore. Aujourd’hui, tout le monde prend des photos dans un restaurant. Les gens alimentent leur quotidien de bouffe. C’est la révolution food ! La cuisine et les chefs sont devenus ce phénomène sociétal et culturel. Omnivore l’a anticipé et y a contribué à sa petite échelle mais de manière consciente. Le monde a bougé mais le festival n’a pas fondamentalement changé dans sa manière de faire. C’est toujours un acte de curiosité.
Publié par Nadine LEMOINE