20 février 2006, 8 heures. Les vacances scolaires sont terminées. Pour les équipes du lycée Jean Drouant, une petite révolution s'annonce. L'Education Nationale vient de leur affecter un nouveau proviseur. C'est la surprise générale. « Ils n'étaient pas hostiles, mais dubitatifs » se souvient Christian Badinand, qui se retrouve à devoir faire les présentations, projeté dans le vif de la reprise et sans l'aide physique d'une hiérarchie qui décide, mais n'explique pas toujours. « Dans ce cas, il faut être le plus adroit possible ou le moins maladroit, au choix » sourit-il. L'école hôtelière Jean Drouant, devenue en 2002 le Lycée des métiers de l'hôtellerie Jean Drouant, est l'une des plus anciennes écoles hôtelières de l'histoire, pourvoyeuse aussi d'un grand nombre de personnalités diverses, du restaurateur étoilé gersois et figure du syndicaliste, André Daguin, à Kévin Chambenoit, unique et extraordinaire MOF salle 2015. La liste est longue et fournie. Le lycée, qui se situe au 20 rue Médéric, dans le 17ème arrondissement, cohabite avec un centre de formation d'apprentis. Les organismes ont des directions distinctes. Pour Christian Badinand, le challenge s'inscrit dans la construction et l'apaisement. L'homme a été le plus jeune chef d'établissement de France. Cet agrégé d'allemand, né un 20 octobre, n'a pas encore 30 ans, l'âge requis, en septembre 1983, pour intégrer le poste. Une dérogation exceptionnelle lui sera accordée. A partir de cette date, de collège en lycée, le chef d'orchestre fait ses preuves. Branché 'prépas', il s'intéresse aussi à la formation continue et s'interroge sur l'avenir de l'école. Membre de la commission Therlot, il plaide pour une éducation concertée avec les parents au service de la réussite de l'élève, qui intègre aussi des partenaires comme l'entreprise. En 2005, après avoir dirigé plusieurs Greta, il est nommé président du Greta des métiers de l'hôtellerie de Paris. La structure, basée à Jean Drouant, traverse une phase difficile, qu'il redresse. « C'est à cette époque que j'ai découvert l'univers de l'hôtellerie et de la restauration. Je ne le connaissais pas de l'intérieur. C'est un secteur où il faut être polyvalent, avoir des capacités relationnelles et conviviales. Il faut savoir accueillir » résume-t-il. Etre bosseur et souriant ne sont pas incompatibles. Et puis, parler trois langues couramment, ça aide ! « Etre proviseur dans un lycée hôtelier, c'est côtoyer en permanence plusieurs univers : le classique, avec les enseignants du général, le chef des travaux et la salle, la cuisine avec ses chefs. C'est voyager dans des pays différents, en quelques instants ». Et il s'y adonne avec un tel investissement qu'à chaque rentrée scolaire, Odile, son épouse, lui soupire : « à l'année prochaine ! ». 9 années ont passé. Des moments douloureux ont eu lieu avec la disparition de deux collaboratrices proches, atteintes de cancers. Lui aussi a été touché par la maladie, mais il en s'en est sorti. « Ces épreuves vous rendent plus philosophes, elles vous apprennent à relativiser » confie-t-il. Et ce sont des souvenirs de grand bonheur qui se bousculent à quelques jours de sa retraite : improviser un boeuf de jazz à la guitare avec son proviseur adjoint devant élèves et enseignants, "patauger", avec une classe, dans la mer morte, accueillir des concours et partager la joie et les larmes des participants… « Tous ces moments où les jeunes deviennent acteurs de ce qu'on leur apprend et progressent naturellement vers l'âge adulte » ajoute-t-il. Sans oublier les 100 % de réussite aux bacs techno, pro, BTS et Mention Restaurant. « En 2015, le lycée a fait 100% au Bac pro cuisine et au bac techno » constate Pierre Berthet, président de l'association des anciens élèves du lycée avec qui la tradition des baptêmes de promotion et des remises des prix s'est confortée au sein de l'établissement. Jean Drouant est une grande famille aux portes ouvertes sur la jeunesse et la transmission. Au sens propre et figuré. Rares sont les proviseurs à laisser leur porte de bureau ouverte quand ils ne sont pas en réunion et c'est pourtant une caractéristique de Christian Badinand. Nous retiendrons encore de lui, son intelligence et une profonde humanité.
Publié par Sylvie SOUBES
