David Toutain, c'est la générosité et sincérité faites homme, expérience dépassant tous les CV possibles. Difficile de rester insensible à ce grand garçon aux yeux d'eau, tout à la fois déterminé et perpétuellement inquiet, sûr de son art et le remettant sans cesse en question. Surtout, David Toutain fait partie depuis trois ans - et sa première apparition publique à Agapé Substances du cercle des chefs - qui attirent la lumière. La pression est forte, la nécessité de réussir et surtout de plaire, impérieuse. Autant de pièges et de possibilités d'échouer.
En quelques semaines, dans cette nouvelle maison qui est sa première maison à lui, David Toutain a trouvé ses marques. Une déco sans esbroufe, une impression de grande quiétude nimbée de blanc et de bois, vient porter une cuisine qu'on sent tout de suite agile, sûre d'elle et avec un fort potentiel de développement.
Son menu est une succession de plats où il ne joue plus, comme à Agapé Substances, la course à l'impressionnable mais imprime sa vérité, généreuse, modeste et lucide. Parlons un peu des goûts. On attaque avec le régressif : le croque-monsieur d'anguille fond comme une bouchée croustillante, hyper fondante avec son beurre de malt venant prolonger dans ses notes tourbées des saveurs simplissimes mais confondantes. C'est la même chose avec l'oeuf parfait en chaud-froid sur la crème de maïs dans laquelle le jaune cassé vient se répandre pour accoucher d'un mélange onctueux, à la température d'un bain douceâtre, moelleux. On enclenche ensuite sur les associations délibérément et faussement classiques oursin/café, pigeon/betterave, tarte/topinambour. Des plats intuitifs, passionnels, qui montrent l'aspect impétueux de leur créateur. Les saveurs explosent en bouche, se développent sans fin pour former des strates régulières de plaisir, d'évidence.
Grenu, râpeux
Elles conduisent naturellement vers des plats à l'avant-gardisme maîtrisé : l'huître pochée, yuzu et kiwi qui réhabilite effrontément cet ingrédient 'so eighties's', les blancs de seiche émincés, raidis jouant de textures sur le yuba (la peau du tofu) et copeaux finissimes de noisettes. C'est une cuisine imparable - on allait presque écrire inhumainement imparable tant elle semble réglée, quinze jours seulement après l'ouverture -, et déjà jouissive. Elle n'est pourtant que la première strate d'un terrain fertile que David Toutain a déjà commencé patiemment - et très intelligemment - à cultiver. L'abyssal paysan d'un consommé de peaux de pommes de terre associé à un cube de foie gras et gnocchi de pommes de terre, la mâche nacrée d'un cabillaud brutalement ferré sous la texture grenue et râpeuse des feuilles de Kale (chou ultra frisé) fixent les lignes directrices, osées mais totalement maîtrisées, d'une cuisine et d'un chef qui se préparent un bel avenir rue Surcouf.
Publié par Luc Dubanchet