L'Hôtellerie Restauration : Quand avez-vous su que vous vouliez devenir cuisinier ?
Guy Savoy : J'avais 5 ans quand j'ai vu ma mère réaliser des langues de chat. Ce qui m'a touché, c'est qu'en mélangeant des ingrédients très simples, elle obtenait facilement et rapidement quelque chose de délicieux. La vraie magie, c'est la transformation. À chaque assiette qui sort, j'ai conscience de cette transformation. Un produit brut, comme une poularde de Bresse crue, cela n'a aucun intérêt, mis à part esthétique. Mais dès qu'elle est transformée, à la vue s'ajoutent l'odeur et les saveurs. C'est une action sublime et importante, car on l'ingurgite. Ce n'est pas un geste anodin. Au-delà de la survie, on y trouve du plaisir, parfois de l'émotion. C'est extraordinaire ! Il y a aussi les oreilles qui entrent en jeu : le beurre qui fond dans une poêle, c'est une musique. Les saveurs, c'est une palette incroyable de sensations accessibles. Que l'on m'apporte quelque chose qui soit aussi magique, aussi fort, aussi instantané et disponible.
Après l'acte de dégustation où tous les sens sont sollicités, il y a cette sensation de bien-être, de plénitude. L'émerveillement de la transformation tombe directement dans la colonne plaisir. Pour moi, chaque assiette qui sort de la cuisine est un don, un acte de respect envers la nature et les hommes et les femmes qui ont fait pousser, cueilli ou élevé tous ces produits. C'est une chaîne qui a travaillé pendant des semaines, des mois, voire des générations. En ayant conscience de tout ce travail, on a la même rigueur pour une feuille d'épinard que pour un homard breton. Oui, les lentilles peuvent être aussi émouvantes qu'un homard.
Votre grand plat classique favori ?
La béarnaise, parce qu'elle ne peut être faite qu'au dernier moment et que c'est un bel équilibre gustatif. Ce mélange pas du tout évident de vinaigre, d'estragon, d'échalote avec du jaune d'oeuf, pour accompagner la viande rouge, cela fait partie des choses que j'aurais aimé inventer.
Votre plat best-seller ?
La Soupe d'artichaut à la truffe noire, brioche feuilletée aux champignons. Un fidèle de la maison m'a dit : "L'artichaut, ce sont tes origines modestes. La truffe, c'est ta quête d'excellence et la brioche, c'est ton âme d'enfant." Cette définition me va bien. La brioche, c'est l'adaptation de la brioche aux fruits de mon enfance que j'ai voulu transposer en version salée. Et cette soupe sans la brioche n'a aucun intérêt.
Le plat préféré à votre carte ?
La Poêlée de moules et mousserons, jus terre et mer. Je le fais depuis vingt-cinq ans. Le sec de l'iode et le gras du mousseron ont tout de suite fonctionné. Il faut que la moule soit tout juste poêlée 2 ou 3 secondes et ne surtout pas la dessécher, avec une goutte de citron au dernier moment. Ce qui m'amuse, c'est la simplicité.
Le repas le plus éblouissant en France ?
C'est la conjonction parfaite entre un lieu, une compagnie et la sincérité de celui qui fait le repas. Et je rajoute le vin. J'ai un souvenir très fort d'un repas à Saulieu, avec Bernard Loiseau, malheureusement quelques semaines avant le drame. Nous avions décidé d'un commun accord de refaire les plats de notre apprentissage chez Troisgros, comme la soupe de moules au safran… Ce repas était magique. Il avait quand même fait sa Poularde Alexandre Dumaine qui était un monument.
À l'étranger ?
Un 31 décembre au Ténéré, dans le Sahara : des pâtes aux truffes et du pain que l'on avait fait griller sur des pelles de désensablement. Et aussi un cochon marron mariné dans du citron et du miel, rôti sur une plage de l'île Maurice et servi avec des goyaves de Chine qui avaient un peu d'amertume. Magnifique.
Ce qui vous agace le plus ?
La frime. Tout ce qui n'est pas sincère. En cuisine, un produit avec des artifices, c'est formidable. Des artifices sans produit, cela m'agace.
Le plus beau compliment ?
Un jour, un convive m'a dit en partant : "Vous rendez l'éphémère inoubliable".
La critique qui vous a le plus marqué ?
Celle d'une journaliste, Catherine Michel, qui n'est plus. En 1978 ou 1979, j'étais à la Barrière de Clichy et elle avait écrit un papier intitulé Un pari sur le talent. Son texte était tellement beau que cela m'a mis un coup de pied aux fesses.
Le secret de la réussite ?
5 % d'inspiration ou d'intuition et 95 % de transpiration. Cela fait quarante-cinq ans que je travaille, mais comme j'ai toujours fait deux journées en une, cela fait donc 90 ans. Tous les cuisiniers se reconnaîtront.
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Best of Guy Savoy
Poêlée de moules et mousserons, jus terre et mer, Bar en écailles grillées aux épices douces, Souris d'agneau à la broche, gratin de macaroni… c'est au tour de Guy Savoy de livrer dans cette collection ses recettes légendaires.
Best of Guy Savoy • Alain Ducasse Edition • 100 pages • Prix : 12 €
Desserts de Guy Savoy et Christian Boudard. Comme à la maison et comme au restaurant
Ce livre atypique propose une recette traditionnelle cuisinée comme à la maison suivie de la version du chef. Le baba au rhum devient un Savarin au whisky et neige de fruits secs ; les crêpes Suzette se transforment en un Mikado de crêtes, etc.
Desserts de Guy Savoy et Christian Boudard. Comme à la maison et comme au restaurant • Alain Ducasse Edition • 164 pages • Prix : 19 €
Publié par Propos recueillis par Nadine Lemoine