"La Bonne Étape a été fondée par ma grand-mère au début du XXe siècle. J'ai pris la suite de mes parents, Arlette et Pierre Gleize, en 1981.
Pour faire perdurer une maison à travers le temps, il faut être en permanence attentif et à l'écoute de la société dans laquelle on vit. Le défi est de savoir s'adapter aux nouvelles attentes des clients, tout en conservant un langage personnel. Ce n'est pas une volonté, mais plutôt une manière empirique de ressentir son époque.
La Bonne Étape aujourd'hui, c'est un hôtel Relais & Châteaux de 18 chambres, un restaurant gastronomique étoilé depuis cinquante ans, un bistrot, Le Goût du jour, mais aussi des salles de séminaires, des cours de cuisine, un potager bio. Le client d'aujourd'hui recherche une expérience en venant séjourner dans notre maison. Cela demande de savoir se renouveler sans se perdre dans des modes médiatiques et éphémères.
Mon père réalisait une cuisine à l'accent provençal et si j'en ai gardé l'essence, il y a certains plats que l'on ne pourrait plus proposer aujourd'hui. Les goûts ont changé, la cuisine s'est allégée, la façon de rester à table et l'ordre des repas ont évolué. Le futur va nous demander de repenser le repas, il y a une réflexion à mener sur la manière d'être à table demain.
La vedette, c'est le client
Pour autant, s'il faut savoir s'adapter, il ne faut pas perdre de vue ses valeurs. Les miennes sont avant tout la grande cuisine et la recherche de l'essentiel, la régularité, la simplicité apparente d'une cuisine pourtant très élaborée, les saveurs provençales, la qualité, le bonheur des clients à table. La continuité de ce qu'a fait mon père, la transmission d'une culture, c'est essentiel et cela n'empêche en rien la créativité et l'intégration des nouvelles techniques.
Quand je vois que l'on revisite des recettes par extrême simplification ou au contraire par des présentations flatteuses pour faire illusion, je me dis parfois que l'on sert 'show' plutôt que chaud ! La vedette, c'est le client, ce n'est ni le chef, ni le maître d'hôtel ou le sommelier, je ne cesse de le dire à mes équipes. Je reçois beaucoup de jeunes en apprentissage et je suis inquiet de voir leur temps de formation drastiquement réduit. J'essaie de leur inculquer la persévérance, le goût de l'effort dans la durée, des choses qui ne se voient pas mais qui sont indispensables à notre métier.
Le luxe peut être un frein
Les gens ont des idées préconçues sur nos maisons, sur ce que nous proposons, sur nos prix. Notre travail, chaque jour, est de faire de la pédagogie, d'expliquer aux clients nos propositions.
Le bistrot Le Goût du jour, avec un ticket moyen à 28 €, est une porte d'entrée dans notre maison et une manière de désacraliser notre image. J'y propose une cuisine authentique et traditionnelle que l'on ne trouve presque plus. Je suis convaincu qu'il est vital aujourd'hui de ne pas se focaliser sur un seul segment de clientèle. Nous aurions pu augmenter les prix et ne se focaliser que sur notre clientèle à fort pouvoir d'achat. Mais je constate, depuis longtemps, que le monde change à toute vitesse. J'ai préféré faire le choix de la mixité.
S'approprier son époque
Les moyens de commercialiser son établissement ont aussi beaucoup changé : avant on attendait le client, maintenant il faut aller le chercher !
Tous les canaux de communication sont à exploiter, il faut faire parler de sa maison constamment pour favoriser le bouche-à-oreille.
Je pense, par exemple, aux nouveaux moyens de communication qui ont pris beaucoup de place dans notre quotidien. Je me suis adapté, j'ai appris à me servir des réseaux sociaux et je m'y consacre désormais chaque jour. Je suis également en train de travailler à la refonte de notre site internet pour favoriser les réservations directes.
Avec ces mutations, nous avons dû adapter notre manière de gérer économiquement notre établissement. Mes parents n'avaient pas les mêmes contraintes ni les même coûts au niveau du personnel. Il y a cinquante ans, la masse salariale représentait 30 à 35 % du chiffre d'affaires. Aujourd'hui, quand on est en-dessous des 50 %, on est content !
Il y a aussi l'administratif qui prend un temps considérable. J'ai trois employés qui s'y consacrent, c'est un coût à prendre en compte. Sans compter toutes les nouvelles normes, qui demandent beaucoup d'investissement.
En somme, notre métier est un métier de persévérance, notre apprentissage dure toute la vie ! Je considère que rien n'est jamais réussi mais que tout ce qui est réalisé est beau. Le jour où l'on n'apprend plus rien, c'est qu'on est mort !"
Publié par Marie TABACCHI