L'Hôtellerie Restauration No 3424 - page 3

6ˆ Œ LuKMUJZM
Œ
3
e-t-elle les cuisines ?
Adeline Grattard s’estime redevable
d’une certaine douceur envers les filles
qui composent une partie de son équipe,
au titre de ce que les hommes lui ont fait
subir :
J’ai vécu des choses vulgaires car
je suis une fille. Le machisme m’a donné la
rage. Les violences viennent plus souvent
de l’équipe que du chef
, dit-elle avant de
reconnaître un problème avec les jeunes :
Dès qu’on lève un peu la voix, ça ne va
plus.
Ce à quoi Cyril Lignac s’empresse
d’ajouter :
Àmon époque, j’ai attendu
pendant des mois qu’une place se libère chez
Alain Passard. Aujourd’hui, tous les trois
étoiles cherchent du personnel.
“Sans exemplarité, il ne peut y avoir
d’autorité”
Le directeur de Ferrandi théorise ce
sentiment de violence que peuvent
éprouver les débutants :
Les jeunes
n’ont plus le même degré d’acceptation
et la pression peut être ressentie comme
une violence.
” “
Mais,
rebondit Frédéric
Brugeilles,
pour faire de grandes choses,
il faut des contraintes.
La journaliste de
Canal + relance le débat :
Adeline, est-il
plus difficile pour une femme de travailler
avec des femmes ?
” “
Une femme est plus
habile pour calmer les tensions
,
estime
la cuisinière.
C’est agréable de travailler
avec les femmes car elles ne se plaignent
jamais. Chaque mois, je les prends une
par une dans mon bureau…,
tente Ludo
Lefebvre qui déclenche l’hilarité de la salle,
… pour m’assurer que tout va bien. Aux
États-Unis, on ne peut pas effleurer un
sein. Je redoute les procès.
Gérard Cagna
se lève alors du premier rang pour définir
l’engrenage de la violence :
Ça commence
par des petits coups, des béquilles…En
dehors de la poignée de main, la peau c’est
sacré, une barrière infranchissable. Un jour,
chez Maxim’s, je lavais les champignons.
Il fallait aller vite. Le chef m’amis une
tape dans le dos. Tout mon corps a vibré.
À l’époque, je lançais le disque de 1 kg à
40mètres, j’aurais pu l’étaler. Nous étions
dans les années 1960... Si j’avais rendu
le coup, ma carrière aurait été fichue. J’ai
pleuré. Ça fait du bien de pleurer.
À Alain
Passard et Thierry Marx de conclure par
vidéo. À la question :
Tu as reçu des
coups ?
,
le chef de L’Arpège répond :
Oui,
mais je préfère ne pas citer de noms. Ce sont
des gens respectables, ils en devenaient laids.
Plus tard, tu te sers de ce qu’ils t’ont fait
subir.
Enfin, pour Thierry Marx :
Sans
exemplarité, il ne peut y avoir d’autorité.
Il reste enfin à s’interroger sur ce qu’il se
passe dans certaines cuisines lorsque le chef
est absent, et en particulier sur l’attitude des
‘petits caporaux’ envers les plus faibles.
FRANÇOIS PONT
Retrouvez le Manifeste
des chefs français pour le
respect et l’intégrité physique
et psychique des jeunes
cuisinières et cuisiniers
:
ou flashez ce QR code
angle
L’actualité
De gauche à droite : le sociologue
Frédéric Brugeilles
,
Adeline Grattard
,
Gyril Lignac
,
Ludo Lefebvre
,
Grégory Marchand
,
Christian Etchebest
et
Maïtena Biraben
.
Interview de Carole Delga
Les statuts d’artisan cuisinier
et de crémier-fromager seront
créés en 2015
œ
Carole Delga, secrétaire d’État chargée du Commerce, de
l’Artisanat, de la Consommation et de l’Économie sociale et
solidaire, a confirmé sa volonté de valoriser ces savoir-faire.
PROPOS RECUEILLIS PAR SYLVIE SOUBES
L’Hôtellerie Restauration
:
Vous avez annoncé la création
du statut d’artisan crémier-
fromager et les cuisiniers vont
également pouvoir s’inscrire
au répertoire des métiers. Pour
quelles raisons soutenez-vous
ces démarches ?
Carole Delga
: C’était une
attente des professionnels.
Il y avait un manque de
reconnaissance. L’accès au statut
d’artisan pour les crémiers-
fromagers et les cuisiniers
vise à valoriser un métier et
ses savoir-faire. Il est aussi
important de rappeler que
s’ajoute à ces dispositifs la
définition légale donnée aux
métiers d’art dans le cadre de la
loi artisanat, commerce et TPE
du 18 juin 2014. Notre artisanat
d’art et notre gastronomie
font le rayonnement de la
France à l’international, ils
forment notre patrimoine
culturel et culinaire. Ces trois
nouvelles reconnaissances
sont un signal fort que nous
envoyons aux consommateurs
et aux entreprises artisanales.
Il s’agit de préserver les savoirs
et le geste, et de garantir leur
transmission. Tout cela participe
aussi à la valorisation de
l’apprentissage, qui fait partie des
priorités du Gouvernement.
Des professionnels de la
restauration sont montés
au créneau contre le statut
d’artisan cuisinier, évoquant
notamment son aspect
discriminatoire : mettre ainsi
en avant le cuisinier reviendrait
à faire des autres activités (bar,
service) des sous-métiers…
Je crois sincèrement que c’est un
faux débat. Le cuisinier, c’est le
métier central d’un restaurant.
Il est à la base de la production,
tout comme le boucher ou le
boulanger. Ce statut ne dévalorise
en rien les autres métiers de la
restauration. En revanche, il
est certain qu’il faut travailler
et réfléchir à la valorisation des
autres métiers comme ceux du bar
et du service.
Le fait d’inscrire le statut
d’artisan cuisinier sur sa
devanture ne risque-t-il
pas d’induire en erreur
le consommateur, rien
n’empêchant l’artisan cuisinier
de faire de l’industriel ?
L’artisan est gage de
professionnalisme et répond à
un cadre. Il y a la boulangerie
industrielle et l’artisan
boulanger… Vis-à-vis des
consommateurs, ce sera clair.
Ce que nous mettons en place
couvre des aspects différents
mais complémentaires.
L’artisan cuisinier est lié à une
qualification. Le fait maison
reconnaît un plat réalisé à partir
de produits bruts cuisinés sur
place. Quant au titre de Maître
restaurateur, il porte sur une
prestation qui inclut circuits
courts, accueil, service. Le statut
d’artisan cuisinier est un outil mis
à la disposition des professionnels
qui veulent afficher leur capacité
à travailler des produits et à les
transformer.
Quel est le calendrier prévu ?
Ces dispositifs bénéficieront
de décrets qui sortiront début
2015. Ils feront partie des textes
d’application de la loi artisanat,
commerce et TPE, avec une
période transitoire afin que les
acteurs économiques disposent du
temps nécessaire pour s’adapter.
Carole Delga
rappelle que cette démarche
s’inscrit dans le cadre du dispositif global du
Gouvernement de soutien à la gastronomie.
Le cuisinier,
c’est le
métier
central d’un
restaurant.
La discipline,
ce n’est pas
de la violence
gratuite
CHRISTIAN ETCHEBEST
1,2 4,5,6,7,8,9,10,11,12,13,...36
Powered by FlippingBook