L'Assiette champenoise à Tinqueux (51), près de Reims, c'est d'abord une histoire de famille. Arnaud Lallement rejoint l'établissement familial en 1997. Trois ans plus tard, son père lui cède la direction des cuisines et, l'année suivante, la première étoile Michelin vient récompenser son travail. Peu de temps après, Jean-Pierre Lallement disparaît. "J'ai perdu mon père alors qu'il n'avait que 50 ans et moi 27. Je me suis dit à l'époque que je devais faire en sorte de hausser le niveau de la maison, une façon de rappeler que mon père était là avant moi. Nous avons investi chaque année avec des travaux pendant la période de fermeture en février pour arriver à une maison contemporaine en gardant confort et chaleur", explique Arnaud Lallement.
En 2005, la deuxième étoile arrive et en 2014, c'est la consécration. Et pour la famille Lallement, la joie se mêle aux souvenirs. "Lorsque Michael Ellis m'a appelé pour m'annoncer la troisième étoile, ça a été un grand moment d'émotion. Et je lui ai répondu : je pense à mon papa, se souvient le jeune chef-patron. Avec ma mère très émue, ma soeur, Mélanie, qui se consacre à la partie hébergement et ma femme, Magalie, qui assure le bien-être et la sérénité des clients au restaurant, nous avons partagé ce grand bonheur."
Un autre grand moment attendait le jeune chef : la conférence de presse de Michelin à Paris, en présence pour la toute première fois de la quasi totalité des 3 étoiles français. "C'était magique, avec tous ces grands chefs que j'admire et qui ont été formidables avec moi. Je ne l'oublierai jamais", confie le patron de l'Assiette champenoise.
Une semaine plus tard, Arnaud Lallement rouvre l'établissement après la coupure hivernale. "Dès le premier service, on était complet et j'avoue que j'avais une très forte appréhension. On se demandait si la clientèle n'allait pas attendre autre chose. Mais ils voulaient ce que l'on a toujours fait. Une cuisine sincère, vraie, avec des produits top, de l'émotion et que l'on vienne les voir en salle. Ce fut un extraordinaire moment de partage", raconte le chef.
L'Assiette champenoise réalise 60 à 65 couverts par service et onze services par semaine (fermeture mardi et mercredi midi). Arnaud Lallement a composé quatre menus : 68 € (4 plats + fromage + dessert, exclusivement le midi) ; 138 €, 158 € et 198 € (onze plats). Le ticket moyen atteint 150 €, hors boissons. Il y a 26 employés dans la cuisine de 200 m² (sans compter les réserves), et 26 au service. Avec l'hôtel, le nombre de salariés s'élève à 80. "Nous avons embauché car il nous a fallu renforcer l'équipe pour répondre à la hausse d'activité le midi depuis l'arrivée de la 3e étoile, précise Arnaud Lallement. Nous fonctionnons avec deux équipes depuis quinze ans. C'est plus de confort pour tout le monde. Au service, ils sont au pourcentage." Outre sa famille, Arnaud Lallement peut compter sur quatre piliers - ses seconds Laurent Laudy et Cyril Bourbennois, son directeur de salle, Paul Godin, et son chef sommelier, Frédéric Boucher - et sur une équipe dévouée. "Il y a un noyau dur qui s'est battu avec nous de la première à troisième étoile. C'est important", souligne le chef.
Une cuisine à maturité
"Un bel assaisonnement, une bonne cuisson et, tout en restant très sobre, un accord avec certaines saveurs : voilà comment respecter les produits et leur rendre hommage, voilà ma conception de la cuisine. 'Mangez vrai !', c'est mon slogan, confie Arnaud Lallement, qui explique : Je réalise une cuisine en trois chapitres. Le premier, c'est le savoir : quel produit, d'où il vient, quel fournisseur, et savoir entretenir de bonnes relations avec lui sans oublier de le mettre en valeur. Le deuxième : la technique. Quelle préparation, la façon dont on décortique un produit ou le sens de la coupe ne sont pas anodins. Il faut réfléchir à l'assaisonnement et au type de cuisson le plus adéquat. Et pour moi, un cuisinier est un rôtisseur. Le troisième chapitre, c'est l'émotion que l'on trouve à travers la gourmandise, notamment dans les sauces."
Le chef triplement étoilé estime que sa cuisine a évolué cette dernière année : "J'ai eu la sensation que, les jours passant, nous étions de plus en plus pointus sur les détails. Il y a des choses que l'on a tous les jours sous les yeux et sur lesquelles on ne s'interroge pas. Or nous avons décidé de questionner tous les détails, de faire des essais pour aller encore plus loin. Parfois, cela ne donne rien mais ce n'est jamais perdu. Dans un autre cas de figure, cela pourra servir. Et quand on trouve, on ressent cette maturité. Un éternel recommencement…" Le plat qui remporte le plus de succès ? La langoustine royale nage réduite. "C'est un plat d'une grande sensualité et qui étonne avec sa cuisson puisqu'une partie est cuite et l'autre crue", dit le chef. Mais le plat qu'il préfère, c'est le homard bleu qu'il a créé en pensant à son père.
Publié par Texte : Nadine Lemoine • Vidéo : Cécile Charpentier